1914 - 1918 : UNE HISTORIOGRAPHIE RENOUVELÉE

 

 

Depuis les commémorations de 1998 on assiste au regain de l'intérêt porté à la Grande Guerre. Cette actualité, définie par Stéphane Audoin-Rouzeau, comme celle d'un deuil interminable[1], tient notamment à l'incessant retour de la mémoire du premier conflit dans l'espace public. Elle est aussi fruit de l’analogie tissée sur l'origine d'un siècle que baptisent les coups de feu à Sarajevo en juin 1914 et qu’achèvent de semblables détonations lors de l’éclatement de l’Etat yougoslave. Ce caractère, lié au processus contemporain de bilan du XXème siècle, imposait pour la construction de ce stage que l'historiographie de la Grande Guerre, fort renouvelée depuis 1990, introduise notre propos. Sa présentation suppose deux remarques préalables. D'une part, le premier conflit, par le succès actuel de sa mémoire, nous paraît familier alors même qu'il devient, pour l'historien de plus en plus énigmatique. Le paradoxe tient à la distorsion du lien entre l'événement et sa mémoire. Matrice du XXème siècle, dans l'acceptation notamment des travaux d'Hobsbawm[2], la Grande Guerre ne saurait se concevoir par l'inventaire de ses seules causes. La comprendre (au sens premier d'appréhender) implique de se situer dans l'œil même du conflit[3]. L'étrangeté naît de cette situation. Elle questionne le consentement des populations comme des soldats à l'effort de guerre, interroge la (les) culture(s) de guerre à l'origine de ce dernier, productrice(s) de comportements spécifiques durant l'ensemble du conflit, parfois prolongés ensuite. La postérité du regard porté sur la guerre est autre. Charpentée dès l'armistice par le souci de mise à distance de cet événement traumatique, la mémoire de la Grande Guerre est reconstruction de cette dernière au titre du pacifisme, du plus jamais ça. L'expression, appelée à d'autres usages au XXème siècle, évoque le trait majeur des pratiques mémorielles du premier conflit, sa conjuration. La Grande Guerre devient nécessairement, pour ses contemporains, la der des ders. Constat imposé par sa brutalité, le qualificatif en masque un trait essentiel pour l'entre-deux-guerres : la guerre brutalisa les hommes, les rendant brutaux dans leur comportement politique[4]. Cette brutalisation serait dans ses effets surgissement de la problématique du communisme, du totalitarisme...

Evoquer l'historiographie renouvelée de 1914-1918 depuis 1990 impose des choix. Partant des acquis de trois ouvrages majeurs pour l'historiographie du premier conflit, l'essentiel de l'intervention repose sur la tension du questionnement croisé portant sur la guerre telle qu'elle fut et les pratiques de sa mémoire. Celles-ci permettent l'évocation des points actuellement en débat. Ce sont essentiellement les questions du consentement à l'effort de guerre (soit le degré d'acceptation de la nécessité du conflit) comme celles du caractère matriciel et contingent du conflit dans le cadre des controverses actuelles portant sur le communisme et le totalitarisme.

Une problématique renouvelée.

Trois ouvrages pour une approche univoque?

Trait caractéristique de ce renouvellement historiographique, l'ancrage des analyses sur la Grande Guerre dans le champ de l'histoire culturelle tient notamment à la réception française de deux ouvrages d'historiens anglo-saxons parus au début de la décennie 1990. Le premier, dans l'ordre de la traduction française, est celui de l'historien canadien Modris Eksteins en 1991 (Le Sacre du printemps. La Grande Guerre et la naissance de la modernité[5]). Publié en 1990, l'ouvrage de Georges Lachmann Mosse (Fallen Soldiers : Reshaping the Memory of the World War soit littéralement Soldats tombés. La refonte de la  mémoire des deux guerres mondiales) ne touche son public français qu'en 1999, au prix d’un déplacement significatif  du titre : De la Grande Guerre au totalitarisme, la brutalisation des sociétés européennes[6]. Fruit du renouveau français des approches de 1914-1918 développées par l'Historial de Péronne, cette traduction inscrit les recherches de Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, synthétisées dans 14-18, retrouver la guerre[7], dans le sillage de Mosse[8].

Les approches pionnières du premier conflit par Eksteins et Mosse sont toutes deux  le fait de modernistes anglo-saxons, spécialistes de l’histoire des pays germaniques, qui reconnaissent au premier conflit une place prépondérante dans la rupture du processus de civilisation de l’Occident repéré par Norbert Elias[9]. Objection déterminante à la civilisation des mœurs, la Grande Guerre s'inscrit chez ces auteurs dans un temps plus long où la question de la violence apparaît déterminante. En amont de l'événement, celle-ci puise ses racines dans les processus d'animalisation de l'adversaire politique. Dans l'œil du conflit, le concept de brutalization (rendre brutal) forgé par Mosse, qu'Annette Becker traduit par le terme plus explicite d'ensauvagement au regard des thèses d'Elias[10], rend compte de la rupture culturelle introduite par la violence de guerre dans l'histoire européenne. L'effet de cette exposition prolongée à la violence des sociétés occidentales engendre un bouleversement des pratiques (qu'elles soient, par exemple, de l'ordre des états dans leurs relations à l'économie ou de l'ordre des individus incapables d'un retour à la normalité de l'avant-guerre) où se retrouve nombre de traits propres à la problématique totalitaire notamment.

Fort de ce positionnement, Modris Eksteins lit les années 1913-1939 comme celle d’un seul tenant, marquées par une fascination grandissante pour la violence et le refus des valeurs libérales franco-anglaises. La thèse offre une vision globale de la période 1914-1939. Dans cette configuration, Modris Eksteins repère les signes avant-coureurs de la rupture qu'est 14-18 dans le champ culturel, notamment dans l'exaltation du sacrifice par la modernité artistique (Ballets russes, expressionnisme allemand…). Privilégiant le temps court, cette réflexion fait de la modernité et de la Grande Guerre une clé privilégiée d'explication du nazisme, terme explicite de sa démonstration. Si Georges Lachmann Mosse partage ce souci, il inscrit sa réflexion dans un temps plus long où la Grande Guerre est pivot. Partant de la radicalisation du combat sur les champs de bataille depuis les campagnes napoléoniennes, il repère un mythe de la guerre (héroïsme de la mort au combat, exaltation de la virilité et banalisation –déréalisation- de la mort de masse). Celui-ci aurait induit de nouvelles attitudes face au politique, dont la principale serait, pour l’Allemagne notamment, un pari constant sur la guerre. Pari qui mènerait les populations à considérer comme inévitable un second conflit. L'essentiel des intuitions contenues dans son ouvrage trouve dans les travaux des chercheurs européens associés à l'Historial de Péronne un champ d'application. Celui privilégie non pas l'histoire des conséquences du conflit sur les champ politiques, mais l'analyse des sociétés européennes face à la guerre. Elément clé de l'analyse, l'homme moyen dans son rapport à la guerre construit la possibilité d'une approche renouvelée du conflit sous l'angle des cultures de guerre. En définitive, ce sont les travaux de Mosse, via l'Historial de Péronne, qui en France renouvellent l'historiographie de la Grande Guerre. En 2000, l'ouvrage de Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la Guerre[11], synthétise les nombreuses avancées réalisées, tout en inscrivant les perspectives tracées par l'Historial de Péronne (auquel appartiennent ces chercheurs) comme références majeures sur ces questions pour l'historiographie française. Peu ou prou, les approches du conflit tentées par d'autres historiens se déterminent face à ce dernier ouvrage[12]. La relative marginalisation des thèses de Modris Eksteins dans cette configuration tient à son mode de lecture, fondé sur la modernité artistique, difficilement applicable à l'histoire culturelle et sociale développée par l'historiographie française. Néanmoins, ces travaux ont comme socle commun la notion de culture de guerre, essentielle dans l'approche renouvelée du conflit.

La culture de guerre.

Partagée par la majorité des historiens du premier conflit, la notion se définit comme « un ensemble de représentations, d’attitudes, de pratiques, de productions littéraires et artistiques qui a servi de cadre à l’investissement des populations européennes dans le conflit[13]. » Cadre large, cette définition implique la préexistence de cette (ou ces) culture de guerre au conflit dont elle structure la représentation. La culture de guerre induit la logique totalisante du fait guerrier ; le conflit englobe l’ensemble des représentations dans l’optique déterminante de la question nationale. De facto, l’usage de la notion ne se circonscrit pas au cadre spatial du front mais envisage le rapport des populations (civiles et militaires) au conflit sous de multiples angles.

Deux massifs dominent cette production historiographique. Le premier questionne le rapport intime à la mort, au corps, au deuil[14]. Le projet s’inscrit dans une perspective anthropologique. Il tente de rendre également compte du rapport individuel à la mort donnée, au corps mutilé, aux troubles mentaux nés de cette expérience singulière[15], à la réfraction du deuil dans l’ensemble d’une communauté par la notion de cercle de deuils. A ce premier abord de la culture de guerre correspond l’interrogation même du consentement des populations à l’effort de guerre. Le questionnement porte alors sur les phénomènes de mobilisation collective d’une part, de banalisation de la guerre ensuite. Les travaux sur l’enfance en guerre, le questionnement de la censure[16], comme la problématique du rôle des intellectuels dans l’orchestration des cultures de guerre[17], éclairent une partie des ressorts de cette mobilisation patriotique. Celle-ci repose sur une forte tension eschatologique : la guerre est croisade, conflit entre la civilisation et la barbarie dans lequel sciences et lettres sont partisanes. Bref, l’union est sacrée ; à l’héritage jacobin de la mobilisation collective se nouent la redécouverte de l'héritage religieux à l'œuvre dans ce même processus[18]. Précisons que ce discours n’est pas imposé aux populations mais accepté. Cette acceptation rencontre le revers du consentement à la guerre, la banalisation de cette dernière. La guerre envahit l'univers quotidien de l'arrière ; elle est dans les cartes postales, les jouets des enfants comme les devoirs qui leur sont proposés. Elle est aussi présente dans une multitude d'objets quotidiens rassemblés dans les collections muséales (tasses, verres, services de table…). Cette prolifération d'images patriotiques et guerrières déréalise le conflit plus sûrement que la censure dont les mailles sont incertaines, le ciseau aléatoire. La banalisation du conflit établit la force du consensus patriotique de 1914 à 1916, elle est aussi, bien qu'amoindrie par le phénomène de démobilisation culturelle de 1916-1917, à l'origine des phénomènes de remobilisation de l'opinion public en 1918.

Ce bref abord de la culture de guerre saisit un univers spécifique dont la cohérence et la densité surprennent l'historien. Cette surprise dans l'ordre de la compréhension de la Grande Guerre tient à la spécificité de la mémoire qui pris en charge sa représentation. Comme der des ders, la mémoire du premier conflit mondial s'est transmise par le refoulement du consentement massif des populations à l'effort de guerre. Le pacifisme domine cette reconstruction mémorielle qui fonde le caractère tabou, dans l'historiographie du premier conflit, de l'acceptation de la violence de guerre par les sociétés occidentales. Au titre de cette surprise, le point de fuite de cette intervention s'inscrit dans l'œil du conflit. Elle interroge cette culture de la violence qu'est la culture de guerre, caractérise quelques unes des pratiques qui l'accompagnent. Il devient alors possible, postulant le caractère matriciel attribué au premier conflit dans l'historiographie de XXème siècle, d'aborder la mémoire des pratiques nées de la guerre, au regard de la brutalisation des champs politiques. Au regard aussi des commémorations qui signalent son deuil interminable face à l'écran conceptuel tissé par le pacifisme.

S'inscrire dans l’œil du conflit.

Nécessité méthodologique, l’inscription dans l’œil du conflit restitue un univers précédemment décrit comme énigmatique. Cette énigme repose essentiellement sur la période 1914-1916 dominée par l’investissement belliciste des sociétés européennes, période occultée par la remémoration pacifiste dont l’année 1917 fournit le point d’ancrage. Choisissant cette première période comme support privilégié de l’abord de l’historiographie de la Grande Guerre, j’examinerai les questions majeures de la violence de guerre, de la lecture du conflit au titre de l’opposition civilisation ou barbarie. Ce choix repère des systèmes spécifiques de représentation, structurant l’énigme des cultures de guerre. Au terme de cet examen, la question actuellement débattue du consentement des sociétés à l’effort de guerre, par les enjeux qu’elles supposent, introduit le questionnement de la mémoire du conflit, des effets de cette dernière sur l’histoire politique du XXème siècle.

 

La violence de guerre, une problématique du corps.

Au titre de la violence, la Grande Guerre franchit un seuil que mesurent en partie les bilans statistiques du conflit. Cette violence creuse les inégalités sociales, au premier rang desquelles les inégalités devant la mort[19]. Ce seuil franchi ramène notamment à une histoire du corps, individuel et social, exposé à une violence paroxystique massivement acceptée. Pour les combattants, cette expérience est à la racine du processus de brutalisation ; subie ou donnée, la violence au combat marque le psychisme. Le terrain de combat devient le lieu d’une terreur sans précédent, plus radicale[20]. Dès lors, l’expérience massive de ces sociétés avec la mort dépasse la simple évocation des bilans chiffrés. Elle est celle du combattant, constamment soumis au front comme fantassin à la possibilité de sa disparition, comme à la quotidienneté des contacts avec les cadavres. Cette violence combattante est celle de la mort anonyme (celle venue par l’obus, la balle), elle est aussi celle de la mort donnée dans les combats d’homme à homme dont peu se font l’écho, à l’exception de Blaise Cendrars dans sa nouvelle J’ai tué, illustrée par un autre combattant, Fernand Léger[21]. L’acte de tuer (nettoyage de tranchées, coups de main nocturnes, blessés achevés...), perpétuellement occulté dans les témoignages, rend compte de la persistance d’une autre forme de combat que la guerre industrielle ; les collections muséales en dévoilent une partie. C’est sans doute dans cette configuration de la mort interpersonnelle que le refoulement du souvenir est le plus fort, les traumatismes psychiques les plus nombreux[22]. Dès la démobilisation, ce processus d’occultation accompagne la re-socialisation des générations combattantes. L’énigme de la Grande Guerre procède en partie de ce refoulement dont la brutalisation représente la part active[23]. Ce rapport à la mort dépasse le seul cadre du front et des combattants, il atteint par la notion de cercle de deuil l’ensemble de la société, provoquant ainsi une véritable rupture dans l’expérience du deuil des sociétés européennes[24]. Si dans les discours publics, ce rapport à la mort s’énonce en terme de sacrifice héroïque, de mort glorieuse, le rapport intime au deuil peine à s’approcher, d’autant qu’il s’accompagne souvent de l’absence du corps du disparu dont il s’agit alors de perpétuer la mémoire[25].

Cette trop rapide énumération des conséquences de la violence et du rapport à la mort sur les sociétés européennes souligne l’inscription systématique du conflit dans les corps. Celle-ci mêle les registres individuels et sociaux. La notion de culture de guerre envisage cette inscription dans une perspective anthropologique, soit une réflexion sur l’identité. Identité du soldat d’abord, immergée dans la violence des combats, dans la quotidienneté d’un rapport à la mort[26], mais cette réflexion identitaire porte aussi sur l’articulation du local et du national. Elle questionne en ces termes la nation, corps souffrant et violentée, dans les cas français et belge, par l’invasion allemande. Cette problématique du corps et de l’identité se construit dans la logique totalisante du conflit, elle noue un ensemble de représentations courant de l’individu à la patrie. Evoquant la question des atrocités allemandes commises lors de l’invasion de 1914 de la Belgique et du nord de la France, John Horne restitue une part de cet imaginaire[27]. Le commentaire d’une image d’Epinal, au titre de l’expression Civilisation ou barbarie en précise les traits saillants.

Civilisation ou barbarie :  Le détour d’une image d’Epinal[28].(Voir l'image)

Extraite de la guerre en image, 1914-1915, l’image appartient, suivant la chronologie établie par Laurent Gervereau, à la première période iconique de la Grande Guerre. Elle condense un premier imaginaire de guerre celui de 1914-1915. La rupture de 1916, concomitante du processus de démobilisation culturelle de la société française, ouvre la seconde période iconique du conflit. Cette dernière se caractérise par l’irruption d’un effet de réel, contrastant fortement avec la première période où le flot d’images contribuait à la déréalisation du conflit ; un nouveau medium s’impose alors, la photographie[29].

Image d’Epinal, le document participe d’un ensemble iconique plus vaste, dénonçant les atrocités allemandes. A cet égard, le thème apparaît exemplaire. Le bombardement de Reims lors de la retraite allemande de la Marne (septembre 1914) noue deux ordres de représentations particulièrement actifs dans la dynamique de la culture de guerre française. Classiquement, la diagonale structurant l’image oppose deux espaces. A droite (à l’est), l’Allemagne dont la démesure du dieu Thor atteste la barbarie quand le globe sur lequel trône l’aigle impérial surmonté de représentants de l’armée en dénote  la modernité. Derrière Thor qui signale par ce statut de limite le front, une foule de civils attend et contemple le spectacle. Celui-ci, à gauche (à l’ouest) de la diagonale, offre la vision de la cathédrale détruite, d’un ensemble de motifs religieux et architecturaux brisés, foulés aux pieds par Thor. L’image s’inscrit de plain-pied dans la tension religieuse des cultures de guerre. Symbole chrétien, la cathédrale s’oppose au paganisme de l’envahisseur. Les discours d’escorte précisent la première impression du dessein. Le dieu Thor est le plus barbare, il vient de l’antique Germanie (celle de Tacite). Un dernier rappel précise la continuité Germanie / Allemagne : invoqué par le Kaiser, Thor, notifié par la citation de Heine, personnifie l’essence même de l’Allemagne, la guerre et la destruction. De facto, l’invasion allemande de 1914 ressort des grandes invasions. Dans le même ordre d’idée, Apollinaire évoque les hordes d’Attila[30] pour caractériser les Allemands. De surcroît, ce jeu sur le religieux constitue l’écho explicite de la guerre lue comme croisade. L’image correspond à la structure récurrente de toute cette première période iconique du conflit, l’affrontement civilisation / barbarie. Cette lecture appelle simultanément une analyse au titre du national, essentiel dans les systèmes de représentation de la guerre. La destruction de ce lieu de mémoire qu’est la cathédrale de Reims -lieu du sacre- s’appréhende au titre du patrimoine, elle soude parallèlement à l’essentialisation de l’Allemagne sous les traits du barbare une représentation de la France où le sursaut national doit autant être celui de Jeanne d’Arc que celui des soldats de l’An II. La défense de la nation est celle de la civilisation, nécessairement chrétienne (la France étant la fille aînée de l’Eglise) : la cathédrale de Reims est symbole du martyr national[31]. Elle l’est d’autant que les destructions d’églises et l’exécution de prêtres furent pratiquées par les allemands en 1914 qui les associaient à leur peur du franc-tireur et lisaient, dans la thématique du sursaut national français, l’amorce d’une guerre d’insurrection.

Durant la période 1914-1915, les cultures de guerre se présentent essentiellement comme des cultures de haine où l’accusation de barbarisme voisine souvent avec l’animalisation de l’adversaire. Cette guerre des cultures se livre aussi sur le front de la science où les arguments racialistes, empruntés au darwinisme social, l’emportent[32]. L’antienne de l’affrontement civilisation / Kultur (ou barbarie) structure ce premier imaginaire du conflit peu ou prou partagé par l’ensemble de la population. Il contribue à la déréalisation de la guerre et ne semble nullement imposé par la censure et la propagande gouvernementale. Ainsi, dans les zones occupées par les forces allemandes, l’emploi des qualificatifs de barbares, de sauvages, pour décrire les forces d’occupation est spontané[33]. Ce caractère spontané des cultures de guerre questionne puisqu’il implique le consentement massif des populations à l’effort de guerre. Christophe Charle évoque à ce propos la dynamique infernale des imaginaires nationaux[34]. A ses yeux, celle-ci relève de la conjonction de deux facteurs. Au poids des stéréotypes nationaux de l’ennemi, mis en place par les médias, s’adjoignent les premiers effets d’une culture de masse, laquelle enjoint la dynamique mobilisatrice de défense d’un espace de repères sociaux dans lequel chaque groupe social joue sa propre stratégie. Dans cette perspective, le consensus belliciste de la période 1914-1915 mesure la force du lien commun minimal. La démobilisation culturelle de 1916, puis les grèves et mutineries de 1917, signifient l’épuisement de ce consensus –politiquement illustré en France par l'union sacrée- face aux effets toujours plus inégalitaires de la durée du conflit sur les classes sociales.

Mémoires des pratiques, oubli du consentement ?

L’essentiel de l’historiographie renouvelée du premier conflit relève des problématiques d’histoire culturelle[35]. Déplaçant le regard pour se placer dans l’œil du conflit, celles-ci restituent le caractère énigmatique de la Grande Guerre au moment où ce conflit jouit d’une nouvelle attention dans l’espace public. Si loin, si proche : tel serait notre rapport à 1914-1918. L’expression renvoie au travail de mémoire à l’œuvre dans la redécouverte du conflit. S’appuyant explicitement sur les travaux d’Henry Rousso, Stéphane Audoin-Rouzeau évoque un deuil interminable de la Grande Guerre[36]. La formule inscrit la question du souvenir dans le champ des recherches sur la mémoire, entre l’analyse des pratiques commémoratives (sociales, politiques et individuelles) et l’étude notamment des processus de brutalisation des champs politiques occidentaux. Elle questionne également le rapport des acteurs au souvenir du conflit ; dans cette perspective la question du consentement à la guerre achoppe tant celui-ci fut occulté dès l’immédiate après-guerre en France au profit d’une remémoration pacifiste. Actuellement, la question du degré d’acceptation des cultures de guerre, des effets induits par celui-ci sur la problématique du témoignage, est débattue. Définir les enjeux de ce débat ouvre la possibilité du questionnement du concept de brutalisation au double titre des problématiques de la violence politique, de la crise des démocraties au regard du totalitarisme. En somme se discute l’apport de l’historiographie de la Grande Guerre à l’histoire politique.

Les  cultures de guerre, quel degré d’acceptation?

Analysant la Grande Guerre entre mémoire et oubli, Annette Becker évoque « une injonction duelle, infiniment rappelée : ne pas oublier et ne plus jamais permettre une telle catastrophe[37] ». Le trait est propre à la France, marquée pour l’ensemble de l’entre-deux-guerres par un  trend pacifiste. Derechef, le regard porté sur le conflit occulte le consentement massif de la société française à ce dernier ; le mouvement allant crescendo pour, au tournant des années Trente, à la faveur de la production romanesque notamment, aboutir « en une inversion radicale de la culture de guerre des années de conflit[38]. » Stéphane Audoin-Rouzeau conclut : « le pacifisme français constitue, dans une très large mesure, une relecture de l’affrontement, un exorcisme du consentement à la guerre, une déréalisation de la violence acceptée et infligée, une tentative de disculpation à l’échelle de toute une société massivement en deuil[39]. » Face à cette relecture pacifiste, la notion de cultures de guerre permet une nouvelle lecture du conflit, opposée à la « vieille complaisance historiographique pour les refus plutôt que pour les consentements[40] ». A la faveur des dernières controverses sur les mutineries, le débat se noue autour de cette question du consentement, ou de son refus. Les mutineries furent occultées dans les années Trente, comme le souligne l’ouvrage de Rémy Cazals et Frédéric Rousseau[41]. Le trait peut apparaître comme une possible remise en cause, au titre du pacifisme et des refus de guerre, de la thèse du consentement. S’appuyant sur les témoignages de poilus, les deux historiens préfèrent au terme de consentement patriotique qu’ils imputent aux travaux de Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, l’hypothèse d’un réseau de contraintes (obéissance, soumission, résignation, éducation) pesant sur les poilus, quand certains de leurs carnets révèlent pourtant la persistance d’un for intérieur pacifiste. Celui-ci, les historiens de l’Historial de Péronne l’auraient négligés, s’appuyant sur le témoignage des élites[42], qui encadraient la population. En somme, le débat hérite de l’opposition, histoire d’en bas, histoire d’en haut, pour conclure suivant Rémy Cazals et Frédéric Rousseau sur une culture de haine exagérée, une culture de paix occultée[43]. La question primordiale du degré d’acceptation des cultures de guerre se dessine en creux dans cette proposition. Malgré l’absence actuelle de réponses explicites à cette critique par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, il semble pourtant possible de formuler quelques observations. Les actes du colloque Marginaux, marginalité, marginalisation[44], soulignent deux conclusions dont la coïncidence paradoxale éclaire le débat : une approche globale des sociétés en guerre conclut sur le consentement des populations européennes à l’effort de guerre, quant une approche catégorielle nuance ce consentement. Les appréciations différentes de la thèse du consentement tiennent au jeu contradictoires d’échelles dans l’observation. Le propos implique deux remarques.

D’une part, cette possible contradiction existe à l’intérieur de systèmes de représentations polarisées par le fait national ; lequel « écrase » toute émission potentielle discordante dans le consensus patriotique. Il faut donc revenir aux propositions de Christophe Charle à propos du lien commun minimal soudant les populations dans l’effort de guerre[45]. Ce poids du consensus national, s’il s’effrite en 1916, ne disparaît finalement qu’avec la démobilisation culturelle de l’ensemble des sociétés, après 1924. Dans cette configuration, il s’agit de mesurer ce qu’il est possible d’émettre comme message alternatif dans les interstices mêmes du consensus national. L’écho des révolutions russes ouvre, surtout après la signature du traité de Brest-Litovsk, un espace aux minorités pacifistes dont les thèses, notamment à l’intérieur de la SFIO et de la CGT, sont approuvées par une majorité grandissante dans la gauche française. Néanmoins, nous nous situons dans la seconde partie du conflit. En amont de 1916, la situation est autre. Elle ramène à l’opposition précédemment décrite d’une histoire d’en bas face à une histoire d’en haut. Si l’opposition à la guerre existe, celle-ci est inaudible, ou tout du moins se dit dans les termes mêmes des cultures de guerre. Elle est inaudible dans le cas des poilus, se remarquant éventuellement par la fréquence des exécutions entre septembre 1914 et juin 1915, signes individuels d’un refus d’obéissance. Pour le milieu intellectuel qui orchestre la mobilisation culturelle de la société française, l’opposition à la guerre passe par l’argument de la littérature inactuelle[46], celle-ci tournant le dos aux réalités du temps pour se confier à un public à venir. Cette position inactuelle des écrivains pacifistes rejoint en partie la position résistante tenue par les dessinateurs de presse Jules Grandjouan et Alexandre Steinlein. Le premier se tient en marge de l’iconographie de guerre ; son silence augure de son statut d’opposant à la guerre. Le second choisit systématiquement un dessin consacré aux causes humanitaires, n’évoquant la guerre que par le biais de la victimisation[47].

Ces exemples illustrent la complexité de la question du degré d’acceptation des cultures de guerre, notamment durant la première période du conflit. Alors impensable (hors l’asile suisse), la position d’opposants ou de neutres n’est possible qu’en son for intérieur et dans la fuite même de la réalité du conflit. Saisie dans cette nasse, l’expression d’un sentiment pacifiste participe finalement de la déréalisation même du conflit, subi et fuit plus que combattu. Cette impuissance à exister dans l’espace public s’estompe peu à peu à partir de 1916-1917 ; d’autant que la question des mutineries et des grèves, réprimées par l’Etat, contribue à la reconnaissance du pacifisme et de la paix blanche comme alternative à la guerre. Dans l'immédiate après-guerre, ce consentement des sociétés à l'effort de guerre, lié d'ailleurs à la question du regard porté sur le conflit change sous l'effet de mythes écrans qui tous transforment rétrospectivement la réalité même de 1914-1918. Citons pour le cas allemand, la légende forgée par Hindenburg du coup de poignard dans le dos, à laquelle s'oppose en France la force du credo pacifiste de la der des der ; notons aussi, dans une perspective catégorielle, la relecture opérée par le mouvement ouvrier sur la base de la révolution à laquelle chaque composante nationale souscrit par sa quête de précédents annonciateurs dont la conférence de Zimmerwald constitue sans doute la clé de voute.

Ce débat sur la thèse du consentement demeure circonscrit au champ historiographique du premier conflit ; a contrario, dans le domaine de l'histoire politique, les apports de l'historiographie de la Grande Guerre permettent une relecture de l'entre-deux-guerres au titre de la brutalisation des sociétés européennes.

La brutalisation : élément d’appréhension de la crise de l'entre-deux-guerres?

Dans le cadre comparatif de l'histoire de la Grande Guerre, le concept de brutalisation s'avère fructueux[48]. Il désigne la réception et l'intériorisation de la violence de guerre par la génération combattante. Base d'un processus spécifique de socialisation, cette brutalisation ne marque pas seulement la génération exposée au conflit. Puisqu'elle façonne l'imaginaire singulier d'un ethos guerrier mêlant héroïsme et technologie, camaraderie et haine de l'adversaire, elle se transmet notamment par le langage, vecteur essentiel de la continuité de l'expérience de la guerre, au champ social dans son entier. Pour les sociétés européennes, la guerre représente un passé qui ne peut passer ; leur champ politique respectif reflète cette impossible pacification[49]. La force du concept de brutalisation repose sur l'analyse, opérée par Mosse, des champs politiques allemands et italiens. Dans cette perspective, la brutalisation éclaire la compréhension de la genèse des totalitarismes qu'elle contribue à historiser[50]. Progressivement, sous l'effet de l'expérience et du mythe de la guerre, en Allemagne comme en Italie, la question de la démocratie glisse à celle de l'Etat ; à la mobilisation totale de sociétés en guerre répond à partir de 1925, la notion d'Etat total forgée par Mussolini. En Allemagne, ce sont notamment les écrits de Carl Schmitt qui permettent ce glissement : celui-ci fonde l'ordre politique sur la distinction entre l'ami et l'ennemi, catégories structurantes des générations combattantes.

 A contrario, le manque de connaissances de  Mosse sur l’historiographie française, comme l’ignorance jusqu’à une date très récente de ses problématiques par celle-ci, tend à exclure du domaine de la brutalisation le champ politique français[51]. Pourtant, la spécificité du comportement des anciens combattants français peut évoquer ces phénomènes de brutalisation. Une relecture de la thèse d’Antoine Prost, tant sur les caractéristiques de la génération du feu que sur le rapport à la politique de ceux-ci[52], induit l’usage de ce concept. Compris dans le cadre normatif des cultures de guerre tel que l’antienne civilisation ou barbarie le donne à voir, le pacifisme des Anciens Combattants décliné par la thématique du sacrifice fait à la patrie rejoint l’exaltation mystiques des corps francs autour de la fraternité des tranchées. Seule la configuration politique de ce sentiment varie. Dans un cas, elle suppose le sacrifice positif pour la nation par l’argument de la victoire, la paix peut alors apparaître comme la première des revendications. Dans l’autre cas, le sacrifice à l’aune de la nation fut vain, il est à reconduire. Tous postulent l’action politique distincte de la pratique démocratique, fondée sur des valeurs morales forgées par l’expérience de la guerre. Accepter ces prémices d’une égale brutalisation du champ politique français, tout en respectant dans la perspective comparatiste la force du pacifisme français corrélée à la position victorieuse de la France, réintègre la question de la crise des démocraties libérales dans l’orbite d’une histoire sociale des pratiques et attitudes politiques.

Il est ainsi possible de refuser l'utilisation du paradigme totalitaire dans l’appréhension du phénomène communiste en France. L’usage de ce dernier permet l’analyse de la genèse du communisme français dans l’optique d’une société combattante mal installée dans une société pacifiée[53] selon les mots de Fabrice d’Almeida pour sa chronique de l’ouvrage de G. Mosse dans Communisme. Accepter ces auspices ne permet pas de rendre compte de la manière dont le mouvement ouvrier, et singulièrement sa variante communiste, en France participa à la construction d’un écran conceptuel, dont le pacifisme fut la clé de voûte, qui permit de masquer les horreurs de la guerre et dédouana, par l’argument de Zimmerwald, la majorité des militants du mouvement ouvrier de leur consentement au conflit. Dans cette optique, la SFIC symboliserait, pour le mouvement ouvrier, l’un des effets de la guerre. Elle serait l’une des traductions concrètes de l’expérience de la guerre comme fait social total. Celle-ci, portée par le refus absolu de la société et du modèle politique qui permit le conflit, participe d’une reconstruction des représentations de l’action politique autour de l’expression civilisation ou barbarie.

En somme, le concept de brutalisation éclaire la naissance des mouvements fascistes et nazis dans la perspective de la nationalisation des masses accélérées par le premier conflit. Il rend de même compte –au titre d'un regard plus décalé- de la violence révolutionnaire en Europe entre 1917 et 1924. Il introduit enfin, dans le constat de crise de la démocratie occidentale qui s'applique aux années Trente, une autre temporalité. Cette crise n'est plus seulement, selon l'historiographie classique, l'effet d'une confrontation à la crise économique et à l'antithèse des démocraties occidentales qu'est le totalitarisme[54], elle devient aussi le produit d'une impossible démobilisation culturelle des sociétés européennes. L'argument trouve rétrospectivement dans l'analyse en bloc de la période 1914-1945, les conditions de sa validation : en 1942, Ernst Jünger évoque une guerre civile européenne, l'historien Arno J. Mayer préférant lui l'expression de moderne guerre de Trente ans[55]. Le souvenir de 14-18 pèse dans l'appréhension de 1939-1945[56].

Un événement matriciel ?

La Grande Guerre serait-elle l'événement matriciel du XXème siècle? Le renouvellement de son historiographie comme l'amplitude du retour de sa mémoire semble acquiescer à l'interrogation : le premier conflit accouche d'un siècle fermé par l'effondrement du système soviétique entre 1989 et 1991. Une lecture de 14-18 à cette aune matricielle y décèle des signes concordants. La Grande Guerre ouvre l'ère des camps de concentration en Europe, elle est le cadre -en 1915- du génocide arménien. De même, l'impuissance des organisations humanitaires, le sort des populations civiles dans les régions occupées par l'armée allemande, les exécutions en masses sur le front de l'Est, annoncent les traits de la seconde guerre mondiale… La liste est longue. Débordant cette perspective cavalière courant d'un conflit l'autre, la Grande Guerre enfante une série de problématiques caractéristiques de l'histoire politique et sociale du XXème siècle. La nationalisation des masses et leur fonction chrorégraphique dans le cadre des problématiques totalitaires en est une[57] ; le déplacement de la question démocratique à celle de l'Etat, une autre…

Le constat doit néanmoins être tempéré. Si le renouvellement historiographique du premier conflit est indéniable, celui-ci compose dans l'espace public avec le caractère prescriptif de la mémoire, qu'elle soit l'effet de la publication des carnets de poilus ou l'écho de l'instrumentalisation politique du souvenir des fusillés pour l'exemple par Lionel Jospin à Craonne en 1998. Le débat ouvert sur la thèse du consentement tient en grande partie au caractère intempestif de l'intervention historienne sur une mémoire de 14-18 construite pour partie sur l'oubli de la réalité de l'expérience de celle-ci. Par ce jeu même sur la mémoire, le premier conflit mondial emprunte souvent à l'historiographie du second, forgée par l'IHTP. Premier de ces emprunts, la notion d'un passé qui ne passe pas sur laquelle se bâtit et le caractère énigmatique de ce que fut le premier conflit, et le succès grandissant de ce dernier dans les domaines de l'édition, du cinéma, de la muséographie. En somme, ce caractère matriciel peut aussi être l'expression de la demande sociale[58].

Vincent Chambarlhac. Docteur. Université de Bourgogne.



[1] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane. La grande guerre. Le deuil interminable. Le Débat. n° 104. Mars - Avril 1999. p 123.

[2] HOBSBAWM, Eric. L’âge des extrêmes. Histoire du court XXème siècle. Bruxelles. Complexe. 1992.

[3] Impératif méthodologique martelé par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker dans Violence et consentement : la culture de guerre du Premier Conflit mondial. In RIOUX, Jean-Pierre et SIRINELLI, Jean-François. Pour une histoire culturelle. Paris. Seuil. 1997. p 251-271.

[4] Les termes renvoient au concept de brutalisation forgé par Georges Lachmann Mosse (De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes. Paris. Hachette. 1999).

[5] EKSTEINS, Modris. Le sacre du printemps. La grande guerre et la naissance de la modernité. Paris. Plon. 1991.

[6] Cf. supra. note 4.

[7] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. 14-18, retrouver la guerre. Paris. Gallimard. 2000.

[8] La préface de Stéphane Audoin-Rouzeau à l'ouvrage en est un des signes. Le compte-rendu du même ouvrage par Annette Becker dans numéro 1 des Annales HSS pour l'année 2000 (p 181) est encore plus explicite.

[9] ELIAS, Norbert. La civilisation des mœurs. Paris. Calmann Levy. 1973.

[10] BECKER, Annette. Annales HSS. 2000. n° 1. p 181. Elle précise : « le sous-titre français (la brutalisation des sociétés européennes) choisit de mettre en avant le concept novateur forgé par G. Mosse, celui de brutalisation que l’on pourrait traduire par « ensauvagement » : la banalisation et l’intériorisation de la violence de guerre qui permettent d’accepter durablement tous ses aspects, même les plus paroxysmiques, et de les réinvestir dans le champ politique de l’après-guerre"

[11] AUDOIN ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. Op. cit. note 7. A cette parution correspond la publication antérieure, par les mêmes auteurs, de : La Grande Guerre, 1914-1918. Paris. Gallimard, coll “Découvertes”. 1998.

[12] A titre emblématique : CAZALS, Rémy, ROUSSEAU Frédéric. 14-18, le cri d'une génération.  Cahors. Privat. 2001.

[13] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane. L’enfant de l’ennemi. 1914-1918. Aubier. Paris. 1995. p 10.

[14] Sur ces questions, les travaux sont nombreux. Citons, parmi les plus récents, le dossier des Annales HSS de janvier / février 2000 consacré au corps.

[15] Cf. les actes du colloque international Shellshock and the cultural history of the Great War tenu à l’Historial de Péronne en Juillet 1998. Publié dans : 14-18 Aujourd’hui/Today/Heute. Paris. Noesis. 2000. n° 3. De même, CROCQ, Louis. Les traumatismes psychiques de la guerre. Paris. Odile Jacob. 1999.

[16] AUDOIN ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. op. cit. note 7.

[17] PROCHASSON, Christophe et RASMUSSEN, Anne. Au nom de la patrie. Les intellectuels et la première guerre mondiale (1910-1919). Paris. La Découverte. 1996.

[18] BECKER, Annette. La guerre et la foi. Paris. Armand Colin. 1994.

[19] CHARLE, Christophe. La crise des sociétés impériales. Allemagne, France, Grande Bretagne (1900-1940). Essai d’histoire sociale comparée. Paris. Seuil. 2001. p 250-274.

[20] AUDOIN ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. op. cit. note 7. p 36.

[21] CENDRARS , Blaise et LEGER, Fernand. Prose par Monsieur Blaise Cendrars et cinq dessins de Monsieur Fernand Léger. Paris. A la belle édition. 1919. L’un des passages illustré par Fernand Léger de manière cubiste est le suivant : « Me voici, les nerfs tendus, les muscles bandés, prêt à bondir dans la réalité. J’ai bravé la torpille, le canon, les mines, le feu, le gaz, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme, démoniaque, systématique, aveugle. Je vais braver l’homme, mon semblable. Un singe. Oeil pour oeil, dent pour dent. A nous deux maintenant. a coup de poing, à coups de couteau. Sans merci. Je saute sur mon antagoniste. je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J’ai tué le Boche. J’étais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct, j’ai frappé le premier. J’ai le sens de la réalité, moi poète. J’ai agi, j’ai tué. » p 152.

[22] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane. Pratiques et objets de la cruauté sur le champ de bataille. 14-18 Aujourd’hui/Today/Heute. Paris. Noesis. n° 2. 1999. p 105-115. Et les ouvrages cités note 15.

[23] L’Historial de la Grande Guerre à Péronne consacre une exposition à la série de dessins de Masson intitulée Massacres. Bien qu’appartenant à un thème classique de l’histoire de l’art, ces dessins sont, selon Masson, une réminiscence de son expérience de combattant, blessé et laissé pour mort en avril 1916 (Masson / Massacres. Paris. Skira / Seuil. 2001).

[24] Thèse avancée par Stéphane Audoin-Rouzeau que semble tempérer un ouvrage récent : HARDIER, Thierry et JAGIELSKI, Jean-François. Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925). Paris. Imago. 2001.

[25] AUDOIN ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. Op. cit. note 7. p 197-258 et, pour une application de la notion au vif des archives : AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane. Cinq deuils de guerre. Paris. Noesis. 2001.

[26] SMITH, Léonard. V. Le corps et la survie d’une identité dans les écrits de guerre français. Annales HSS. n° 1. Janvier / Février 2000.  p 111-133.

[27] HORNE, John. Corps, lieux et nations. La France et l’invasion de 1914. Annales HSS. n° 1. Janvier / Février 2000.  p 73-109.

[28] Elle est reproduite dans AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane. La guerre des enfants. 1914-1918. Essai d’histoire culturelle. Paris. Armand Colin. 1993. 

[29] GERVEREAU, Laurent. Les images qui mentent. Histoire du visuel au XXème siècle. Paris. Seuil. 2000. p 85-129.

[30] Guillaume Apollinaire, introduction à l’Album-catalogue de l’exposition André Derain à la galerie Paul Guillaume, octobre 1916. Cité par Laurent Gervereau, op.cit. note 29. p 93.

[31] HORNE, John. op.cit. note 27. p 105.

[32] PROCHASSON, Christophe et RASMUSSEN, Anne. op.cit. note 17. p 203-220.

[33] AUDOIN ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. op. cit. note 7. p 71. Il faut d'autre part noter la symétrie de l'accusation de barbarisme ; pour les allemands, la barbarie des troupes alliées résident notamment dans l'emploi des troupes coloniales. Celles-ci sont croquées avec l'emploi de tous les stéréotypes racistes de l'époque, tels le cannibalisme et la sauvagerie supposée de ces soldats.

[34] CHARLE, Christophe. op. cit. note 19. p 200-209.

[35] 14-18 constitue un des massifs privilégiés du renouveau de l’histoire culturelle contemporaine. Cf. RIOUX, Jean-Pierre et SIRINELLI, Jean-François. op.cit. note 3. p 251-271.

[36] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane. op. cit. note 1.p 123.

[37] BECKER, Annette. La Grande Guerre, entre mémoire et oubli. Cahiers français. n° 303. Juillet / août 2001. p 48.

[38] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. op. cit. note 7. p 194.

[39] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane. op. cit. note 1.

[40] AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette. op. cit. note 7. p 126.

[41] La controverse a été relancée par les chiffres fournis par le Service Historique de l’Armée de Terre sur les mutineries. Cf.  à ce propos le point de vue de trois historiens (Nicolas Offenstadt, Guy Pédroncini, Sonia Combe) dans Historia de novembre 2001, p 61-63. Et aussi, OFFENSTADT, Nicolas. Les fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective. (1914-1999). Paris. Le Livre du mois. 1999. Et, dans la perspective même de la discussion du concept de culture de guerre, CAZALS, Rémy, ROUSSEAU Frédéric. op.cit. note 12. Notamment les pages intitulées « Le présent de quelques occultations », et « « Témoins et historiens aujourd’hui », p 141-155.

[42] CAZALS, Rémy, ROUSSEAU Frédéric. op.cit. note 12. p 143.

[43] CAZALS, Rémy, ROUSSEAU Frédéric. op.cit. note 12. p 148.

[44] Marginaux, marginalité, marginalisation. 14-18 Aujourd’hui. Today. Heute. n° 4. 2001. p 47-174.

[45] CHARLE, Christophe. op. cit. note 19. p 200-209.

[46] PROCHASSON, Christophe.  Jalons pour une histoire du non-engagement. Vingtième siècle, revue d’histoire. n° 60. Octobre / Décembre 1998. p 102-111. CHAMBARLHAC, Vincent. Ecrire l’arrière, écrire l’envers de la guerre ? Sur Marcel Martinet et le pacifisme littéraire de la Grande Guerre. Annales de Bourgogne. A paraître. Printemps 2002.

[47] BEURIER, Joëlle. Steinlein et Grandjouan. Peut-on rester de gauche dans la Grande Guerre ? In  Jules Grandjouan. Créateur de l’affiche politique illustrée en France. Paris. Somogy. Editions d’art. 2001. p 162-177.

[48] MOSSE, Georges-Lachmann. op.cit. note 4.

[49] CHARLE, Christophe. op. cit. note 19. L'ensemble de la troisième partie s'attache à cette impossible pacification.

[50] Cf. Le Totalitarisme. Jalons pour l'histoire d'un débat. In TRAVERSO, Enzo. Le Totalitarisme. Le XXème siècle en débat. Paris. Point Seuil. 2001. p 9-110.

[51] Selon Antoine Prost, qui rend compte de la publication de l'ouvrage dès 1991, tout en s'appuyant sur les conclusions de sa thèse (PROST, Antoine. Les Anciens Combattants et la société française 1914-1939. Paris. Presses de la FNSP. 1977.), l'expérience de la mort de masse qui traverse l'ensemble de la société française n'induit pas les mêmes comportements. A l'appui de sa démonstration, il note la spécificité de la culture politique et nationale française. Cf. PROST, Antoine. The impact of war on french and german political cultures. The historical Journal. 37. I. 1994. p 209-217.

[52] Notamment le volume Mentalités et idéologies. PROST, Antoine. Les Anciens Combattants et la société française 1914-1939. op.cit. note 51.

[53] D’ALMEIDA, Fabrice. Communisme. n° 59/60. 1999. p 270.

[54] C'est l'un des axes essentiels de la lecture opérée par François Furet dans Le passé d'une illusion : essai sur l'idée communiste au XXème siècle. Paris. Laffont. 1995. Notons qu'ici l'unité du totalitarisme ne se dessine qu'au titre de son caractère strictement antithétique de la démocratie libérale. Cf. TRAVERSO, Enzo. op. cit. note 50.

[55] MAYER, Arno J. La solution finale dans l'histoire. Paris. 1990.  Enzo Traverso (op. cit. note 50) évoque aussi la synthèse plus récente de RANZATO, Gabriele (ed). Guerre fratricide. Le guerre civili in età contemporanea. Turin. Bollati Boringhieri. 1994.

[56] BECKER, Jean-Jacques. D’une guerre à l’autre (1914-1939). 14-18 Aujourd’hui. Today. Heute. (2). Novembre 1998. p 142-151.

[57] Cf. notamment REICHEL, Peter. La fascination du nazisme. Paris. Odile Jacob. 1993. Cette problématique rejoint les intuitions de : EKSTEINS, Modris. op.cit. note 5.

[58] Cf. l'introduction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker à 14-18. op.cit. note 7. L'intérêt pour la Grande Guerre relève de l'analyse générationnelle. Ce retour mémoriel est lié au choc traumatique du conflit, relayé par la curiosité de la quatrième génération.