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Fédération croato-musulmane | ||
entité croate établie par le plan Owen-Stoltenberg en juillet 1993 | ||
République serbe de Bosnie |
L’accord prévoit le maintien de l’État de Bosnie-Herzegovinedans ses frontières reconnues internationalement après la proclamation de l’indépendance avec pour capitale Sarajevo réunifiée. Mais cet État est composé de deux entités : la fédération croato-musulmane et la République serbe de Bosnie. Sur le plan militaire, l’accord prévoit l’envoi d’une force internationale placée sous la direction de l’Alliance atlantique, l’IFOR, dont le rôle sera de veiller à l’application des dispositions militaires et territoriales, impliquant notamment le respect du cessez-le-feu conclu en octobre 1995 et l’engagement à ne prendre aucune initiative militaire. La frontière entre les deux entités est tracée sur des cartes au 1/50000e. En ce qui concerne le secteur de Brcko, un accord n’a pu être établi : une procédure d’arbitrage est prévue. Une commission doit statuer dans l’année suivant l’entrée en vigueur du traité. Des élections libres et démocratiques doivent avoir lieu dans les six mois.
Le préambule de la Constitution de Bosnie-Herzégovine proclame le respect des droits de l’homme, le principe de tolérance et de réconciliation dans une société pluraliste ; l’article 3 indique que les institutions centrales sont compétentes dans les domaines suivants : politique étrangère, commerce extérieur, douanes, politique monétaire, communications et transports. Mais le même article précise que chacune des deux entités peut établir des relations particulières avec des Etats voisins (le texte ajoute : en conformité avec l’intégrité de la Bosnie-Herzégovine mais cet ajout obligé ne souligne-t-il pas lui-même au contraire la tendance réelle qu’impliquent de telles « relations particulières » ?). Le droit au retour des réfugiés est proclamé dans l’article 2, mais l’annexe 7 le met en alternative avec le droit à compensation. (Envisager en ces termes pour les réfugiés une compensation, n’est-ce pas sous-entendre le non-respect possible du droit pourtant proclamé au retour ?).
3- Quelques remarques pour une analyse
Pourquoi le gouvernement américain de Bill Clinton
a-t-il décidé de s’impliquer directement en 1994-95 dans le
conflit bosniaque ?
La perspective des élections présidentielles américaines
a été un facteur beaucoup moins important que la volonté
d’affirmer avec éclat le rôle de leader mondial des
États-Unis. (Peut-être la campagne présidentielle a-t-elle
été une occasion supplémentaire pour le président
sortant, candidat à un deuxième mandat, d’affirmer le leadership
américain ?). Ainsi le Secrétaire à la Défense,
William Perry, n’hésite pas à déclarer sans ambages :
« Ce qui est en question ici, c’est la cohérence de
l’OTAN, l’avenir de l’OTAN et le rôle des États-Unis
en tant que leader de l’OTAN » (Le Monde, 8 octobre 1995).
Comment s’est déroulé le processus
d’intervention américaine ?
Au printemps 94, les États-Unis imposent à la Croatie et à
la Bosnie un arrangement mettant fin à leur conflit armé (accords
de Washington du ler mars 94 créant une
Fédération
croato-musulmane).
Les événements de l’été 95 créent une
nouvelle situation : après la prise, le 10 juillet, de Srebenica
par les forces serbes du général Mladic, ce sont, en août,
les défaites serbes en Slavonie occidentale, en Krajina et en Bosnie
occidentale, puis, le mois suivant, les bombardements de l’OTAN sur
des zones bosno-serbes. Consécutivement à cette nouvelle donne
militaire, des pourparlers engagés, sous la houlette des États-Unis,
entre les représentants de la Bosnie, de la Serbie et de la Croatie
aboutissent à un accord de cessez-le-feu qui entre en vigueur le 12
octobre. Début novembre, le gouvernement américain organise
les négociations de Dayton et veut absolument aboutir à un
accord entre les dirigeants serbes, croates et bosniaques. L’accord finalement
contresigné le 21 novembre repose, comme les plans Vance-Owen ou
Owen-Stoltenberg, sur une répartition territoriale fondée sur
la séparation des différentes communautés qui étaient
étroitement imbriquées, avant la guerre, sur un même
territoire. Il résulte directement des opérations de «
nettoyage ethnique » de l’été 95 avec, d’une part,
l’exode de la population « musulmane » de Srebenica et
le massacre de plusieurs milliers de personnes (probablement environ 8000)
par les milices de Mladic et, d’autre part, le départ massif des
populations serbes de la Krajina et de la Slavonie occidentale chassées
par l’armée de Tudjman ; et ainsi il les entérine. C’est
l’acceptation dans les faits, malgré les déclarations formelles
figurant dans le texte de l’accord, des déplacements forcés
des populations et de la ségrégation imposée entre
communautés pour aboutir à des territoires ayant subi le «
nettoyage ethnique ».
L’accord de Dayton, en échafaudant une répartition
territoriale fondée sur des bases communautaires (dites « ethniques
»), ne réalise-t-il pas pour l’essentiel les buts définis
par les nationalistes de chaque camp pour la création d’Etats
« ethniquement » homogènes ?
Après quatre ans d’une guerre dont le bilan global à
l’échelle de l’ex-Yougoslavie est la mort de plusieurs dizaines de
milliers de personnes (250 000 ?), le déplacement massif de
populations (4 millions de réfugiés), la destruction de villes
et de régions entières, l’appauvrissement des plus larges couches
des populations de presque toutes les régions, l’accord de Dayton
aboutit à une partition de fait de la Bosnie (Le Monde, 15
décembre 1995) et à une étrange construction qui
« ne sera pas un modèle de modernisme, ni
d’efficacité institutionnelle » (Le Monde, 5 octobre
1995) et qui est « un défi aux lois de l’équilibre
et de la stabilité » (Le Monde diplomatique, janvier
1996). Sur le terrain, la Bosnie n’est pas seulement partagée en deux,
mais en trois : d’une part la République serbe de Bosnie,
contrôlée par les tendances ultra-nationalistes du
SDS ; d’autre part, la Fédération croato-musulmane,
mais qui est elle-même de fait divisée en une
« République croate d’Herceg-Bosna »
autoproclamée où règne le parti nationaliste de Tudjman
le
HDZ
et un « réduit musulman » totalement enclavé,
où domine le parti nationaliste d’Izetbegovic le
SDA .
Ainsi les actions de division et de ségrégation des
différents partis nationalistes qui ont délibérément
fait éclater l’ex-Yougoslavie et déclenché la guerre
se poursuivent au sein de la Bosnie dans le cadre même de l’accord
de Dayton. « La Bosnie n’est plus qu’une fiction » (Le
Monde, 23 novembre 1996).
4- L’application de l’accord de Dayton
L’application de l’accord de Dayton s’est heurtée d’emblée à de nombreuses difficultés.
Il faut d’abord constater que cet accord, établi de fait sur la base de l’acceptation du « nettoyage ethnique », a eu pour première conséquence d’en permettre la poursuite avec le départ d’environ 50 000 Serbes des quartiers de Sarajevo restitués par les forces serbes. Plus d’un an après la signature de l’accord, les retours de réfugiés sont quasiment inexistants.
La République de Bosnie-Herzégovine et ses institutions centrales demeurent une fiction. Des symboles communs comme le drapeau et l’hymne n’ont pu être établis ; il n’y a pas de système unique d’immatriculation des véhicules ; et il a même été projeté d’installer un triple réseau ferroviaire. La division en trois entités territoriales de fait séparées reste donc entière. En témoignent à la fois, d’une part, l’établissement de liens officiels étroits entre la « République serbe de Bosnie » et la « Fédération yougoslave » regroupant la Serbie et le Monténégro et, d’autre part, le maintien de la « République croate d’Herceg-Bosna » autoproclamée, adossée et reliée à la Croatie.
La situation des villes de Mostar et de Brcko constitue
l’illustration la plus nette du non-règlement des problèmes
et de l’impasse à laquelle aboutit l’accord de Dayton.
A Mostar, Croates et Musulmans vivaient avant la guerre en nombre à
peu près égal. Au printemps 93, les milices nationalistes croates
le HVO , engagées dans un véritable
nettoyage ethnique dans la région de Vitez (en Bosnie centrale), veulent
prendre le contrôle de Mostar qu’elles assiègent et bombardent
(Le Monde, 23 novembre 1996). Quelques mois après le
cessez-le-feu de février 94, Mostar est placée sous administration
européenne pour être réunifiée. Mais, en 1997,
la ville reste totalement divisée ; l’accord de Dayton n’a rien
changé. « Sur la rive ouest de la Neretva vivent les
Croates ; sur la rive est vivent les Musulmans. Chaque camp a son
armée, sa police, son administration, son drapeau, sa
monnaie » (Le Monde, 23 février 1997).
Quant à la ville de Brcko, la situation y demeure explosive, et rien
n’est réglé. Le gouvernement américain a reporté
toute solution à mars 1998. En quoi cette ville revêt-elle
une importance stratégique particulière ? C’est en 1992
que l’armée serbe a conquis Brcko pour maîtriser un corridor
établissant une continuité entre les territoires qu’elle
contrôlait ; aujourd’hui, c’est pour la même raison du maintien
d’une continuité territoriale que les dirigeants de la République
serbe de Bosnie veulent à tout prix garder un contrôle total
sur Brcko. Mais, pour les Bosniaques, cette ville a aussi une importance
majeure ; d’abord, est exigé le retour des
réfugiés : Brcko, actuellement serbe à 100% et
repeuplée de 30 000 Serbes venus d’autres régions, était,
avant guerre, composée de 80% de non-Serbes ; ensuite, c’est
un débouché vital sur le plan économique : pour
les Bosniaques, dénués d’accès à la mer Adriatique,
ce serait l’unique accès à la Save et au trafic fluvial
international par le Danube, et c’est un noeud routier constituant un passage
obligé vers la Croatie et l’Europe centrale (Le Monde, 15
et 16-17 février 1997). Dès lors, comment une solution fondée
sur un partage territorial communautaire pourrait-elle être équitable
et viable ? La question de Brcko ne montre-t-elle pas que les principes
et les mesures imposés à Dayton ne peuvent que conduire à
de nouvelles crises et à de nouveaux affrontements ?
Les plans successifs de division territoriale de la Bosnie sur une base communautaire (« ethnique ») non seulement n’ont rien réglé, mais ont toujours contribué à une aggravation des problèmes ; ils ont d’abord encouragé les nationalistes à occuper le maximum de terrain et à en chasser les communautés indésirables pour assurer l’ « homogénéité ethnique » et la continuité des territoires contrôlés et conquis ; ils ont eu pour conséquence d’intensifier la guerre. Aujourd’hui, l’accord de Dayton ne crée-t-il pas une situation ingérable, source permanente d’instabilité, de divisions et de désirs de revanche, avec le risque permanent de nouveaux affrontements ?
Est-il possible d’envisager une paix stable et durable, et
quelles pourraient en être les bases ?
Peut-il y avoir, en fonction de cet objectif, une autre solution que le retour
et la réintégration des réfugiés dans leur foyer
et que la mise en place d’institutions fondées sur
l’égalité des droits pour tous, intégrant le respect
des droits des minorités nationales, la laïcité et la
démocratie, au sein d’une Bosnie unitaire, et, au-delà, d’une
fédération regroupant les pays de l’ex-Yougoslavie et plus
largement de toute la région balkanique ? (Voir l’article de
Svebor Dizsdarevic in Le Monde diplomatique, janvier 1996).