[Tsunami 1] [Expérimentations]

Le contexte régional

Le Tsunami a frappé inégalement les pays riverains
La carte ci-dessous met en évidence les régions qui, du fait de leur position géographique par rapport à l'épicentre du séisme, et/ou en raison de leur environnement naturel (relief, végétation naturelle) ont été les plus affectées.
  • Malgré leur relative proximité géographique, le Bangladesh et dans une moindre mesure la Birmanie ont été peu touchées par le Tsunami. L'orientation Nord-Sud de la ligne de faille au large de Sumatra explique que sa propagation se soit effectuée plutôt sur un axe Est-Ouest ; la Somalie, très éloignée, a eu à déplorer la mort de 500 personnes. Les côtes birmanes, quant à elles, ont été peu touchées, même si les îles, souvent des bases militaires sino-birmanes, ont semble-t-il été dévastées.
  • La Thaïlande a été beaucoup plus touchée, pour des raisons physiques et humaines : les côtes y sont très peuplées du fait du développement économique. Le tourisme (dans l'île de Phuket par exemple) et l'aquaculture y ont favorisé une urbanisation sauvage avec les conséquences habituelles en termes de destruction des protections naturelles (récifs coralliens et mangrove).
  • C'est encore plus net au Sri Lanka, le pays le plus touché après l'Indonésie. C'est la façade orientale, moins peuplée que la côte Ouest, qui a été la plus durement affectée, en particulier les zones d'urbanisation récente et les villages de pêcheurs.
  • L'Inde, sur sa façade orientale, a été partiellement protégée par le Sri Lanka qui a fait écran.  Le bilan est cependant d'environ 16000 morts, la catastrophe a frappé essentiellement l'Etat du Tamil Nadu (SE du pays) et  les îles de l'océan indien (les îles Andaman et Nikobar) proches de Sumatra. Les villages de pêcheurs, très proches des plages, mais aussi toute une partie de la zone côtière où le tourisme et l'aquaculture littorale sont en plein essor, ont été les principales victimes.
  • Mais l'Indonésie, essentiellement la région au nord de Sumatra, est la grande victime du Tsunami.

 
L'Indonésie concentre la majeure partie des pertes et des destructions
L'Indonésie (228,5 Millions d'habitants sur 1,9 Millions de km²), le plus grand Etat musulman du monde, a été de loin le pays le plus touché par les événements du 26 décembre ; Les 2/3 des victimes du séisme et du tsunami sont indonésiennes, plus précisément de la province d'Aceh, au nord de l'île de Sumatra.

Cette catastrophe a frappé un pays fragilisé depuis la fin des années 90 par une crise multiforme, à la fois économique, sociale, politique et nationale. 

  • Un pays marqué par la colonisation et le sous-développement : islamisé aux XIV-XVème siècles, l'archipel indonésien a été très tôt l'objet de la convoitise européenne, d'abord portugaise puis hollandaise. Une économie de plantation se met en place, fondée sur la culture des épices (Poivre, clou de girofle). Au XIXème l'Etat néerlandais prend la place de la compagnie des Indes et fait des Indes néerlandaises une véritable colonie, introduisant de nouvelles cultures spéculatives (Hévéas, huile de palme) et lançant l'exploitation des richesses du sous-sol (Hydrocarbures surtout à Sumatra). La seconde guerre mondiale, avec l'occupation japonaise, aboutit à l'indépendance accordée par les japonais en 1945. Indépendance que les Pays-Bas sont rapidement contraints d'accepter, sous la pression internationale et américaine.
    Les nouveaux dirigeants, menés par le leader nationaliste et laïque Soekarno, doivent faire face à d'immenses défis : assurer le développement économique d'un pays pauvre, multiethnique et multiculturel, où les minorités religieuses (catholique, bouddhiste et hindouiste) s'inquiètent de la force des musulmans. De plus les néerlandais n'ont pas préparé le pays à l'indépendance, ni sur le plan des infrastructures, ni sur le plan de l'éducation.
  • L'échec de Soekarno : penchant vers le marxisme et s'alliant à  un parti communiste puissant, Soekarno s'efforce de faire de l'Indonésie une puissance régionale, alliée à ses grands voisins dans le mouvement des non-alignés (conférence de Bandoung, 1955). A l'intérieur il gouverne au nom du "Pankasila" (les "cinq principes" : nationalisme, internationalisme, justice sociale, croyance en Dieu) censés fonder un consensus entre tous les peuples d'Indonésie.  Mais il échoue à assurer le développement du pays, privé des capitaux occidentaux. En 1965, dans un bain de sang, l'armée prend le pouvoir et se rapproche des Etats-Unis.
  • Le legs de Suharto : Le pouvoir, contrôlé étroitement par les militaires, a certes assuré un développement réel du pays (le PIB est multiplié par 10 entre 1967 et 1997, l'autosuffisance alimentaire est conquise, et une politique efficace de contrôle des naissances, la première dans un pays musulman, est mise en place), en s'appuyant sur la rente pétrolière tout en favorisant la diversification industrielle. Dans les années 90 l'Indonésie apparaît comme un nouveau "dragon". 
    Mais la crise financière asiatique de la fin des années 90 signe la fin du "miracle économique indonésien". La chute de la production agricole (du fait de la sècheresse provoquée par le phénomène El Niño) provoque une crise sociale de grande ampleur qui dresse le peuple contre le régime mais aussi favorise des émeutes ethniques (la minorité chinoise, souvent chrétienne, 3,5% de la population mais 70% de l'économie, en fait particulièrement les frais). Le clan Suharto, accusé de corruption, est contraint de quitter le pouvoir en 1998.
  • Difficile stabilisation : L'Indonésie est revenue à la démocratie, la présidente élue en 2004, Susilo Bambang Yudhoyono, est issue du PDI (dirigée par la fille de Soekarno), mais les militaires gardent un poids politique considérable et toute liberté d'action pour mener la répression au nord de Sumatra. La crise économique n'est pas surmontée, le pays est confronté au terrorisme islamiste (attentat de Bali en 2002) et n'arrive pas à gérer les crises régionales (en Iryan Jaya, à Timor et au nord de Sumatra). C'est dans ce contexte difficile que le tsunami du 24 décembre a braqué le regard de l'opinion publique internationale sur la province d'Aceh, où une guerre de trente années se poursuivait dans l'indifférence générale.

 

Banda Aceh : une province marginalisée dans l'ensemble indonésien

La province d' Aceh ("Nanggroe Aceh Darussalam"), d'une superficie de 55000 km² pour une population d'environ 4 millions d'habitants (Densité = 72 h./km²), occupe la partie Nord de l'île de Sumatra, à l'ouest de l'Indonésie, entre 2 ° et 6° de latitude Nord, 95° et 98° de longitude Est ; elle est bordée par le détroit de Malacca au Nord et à l'Est, l'océan indien à l'Ouest, la province de Sumatra-Nord au Sud.
  • Un particularisme vivace : si les habitants de la province (achinais) n'ont pas d'unité ethnique, ils parlent la même langue (proche de l'indonésien) et surtout ont subi une profonde influence culturelle arabe ; ils utilisent l'écriture arabe et sont profondément musulmans (l'influence islamiste se fait de plus en plus forte du fait du long conflit qui les oppose au pouvoir central). Au XVIIème siècle Aceh est une ville de 100000 habitants, érigée en un sultanat indépendant,  florissante grâce au commerce des épices avec le reste du monde musulman. Les premiers entrés en contact avec les européens, ils ont opposé la résistance la plus farouche à la colonisation hollandaise, ne mettant bas les armes qu'en 1903, après une guerre de trente années. Dès les années trente la revendication indépendantiste est portée par le mouvement des oulémas, qui font bon accueil aux japonais en 1942. Après l'indépendance Aceh est incorporée dans la province de Sumatra mais en 1957 Soekarno doit concéder un statut d'autonomie à la province (en matière religieuse et éducative notamment).
  • Le conflit avec Suharto : le nouveau pouvoir applique une politique centralisatrice et révoque le statut d'autonomie en 1969. Il s'efforce d'éliminer l'influence des oulémas. La découverte de gisements de gaz naturel et de pétrole en 1971 aggrave la situation. La rente pétrolière est confisquée par le pouvoir central, le développement économique a un impact négatif sur les populations locales, qui subissent expropriations, perte des ressources forestières par la destruction de l'environnement, répression politique accrue, tandis que les emplois générés par le développement industriel ( hydrocarbures, pâte à papier) et agricole (céréaliculture, pisciculture) est réservé à des immigrants javanais. C'est la politique de "transmigration" dont le but officiel est de remédier à la surpopulation de Java tout en permettant de noyer les revendications autonomistes (à Aceh, en Papouasie, plus tard à Timor) en changeant la composition ethnique des provinces.
  • Une nouvelle guerre de trente ans : à partir de 1976 un "Front de Libération d'Aceh" mène la guérilla contre le pouvoir militaire, sans grand succès car il est peu soutenu par les religieux et manque d'armes. En 1989 un mouvement plus déterminé, le "Gerakan Aceh Merdeka" (GAM : "Mouvement pour l'Aceh Libre"), a repris la lutte. Mais il est isolé, a provoqué à la fois une répression plus forte encore contre les populations civiles (une partie de celles-ci ont été contraintes de se regrouper dans des camps de réfugiés), un gel du développement économique. Après la chute de Suharto, le nouveau président, Abdurraman Wahid, a eu des velléités de nouer des négociations avec le GAM, mais les militaires, toujours prépondérants, ont bloqué les négociations, arguant du risque de contagion et d'éclatement du pays. 
  • Le Tsunami et ses conséquences : Au moment de la catastrophe la guerre se poursuivait entre l'armée indonésienne et le GAM. Mais les événements ont rompu le huis-clos entre les protagonistes, braquant les projecteurs sur ce conflit oublié, et mettant en évidence à quel point les Achinais ont des raisons de se plaindre du pouvoir central. L'armée, contrainte, a du accompagner les secours apportés par les ONG et surtout   subir l'ingérence des puissances, en particulier des USA, tout en interrompant les opérations contre le GAM. Mais le conflit a repris ces dernières semaines,  la catastrophe n'aura peut-être eu aucun effet positif vers une solution politique.

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