L'Indonésie (228,5 Millions d'habitants sur
1,9 Millions de km²), le plus grand Etat musulman du monde, a été de
loin le pays le plus touché par les événements du 26 décembre ; Les 2/3 des victimes du séisme et du tsunami
sont indonésiennes, plus précisément de la province d'Aceh,
au nord de l'île de Sumatra.
Cette catastrophe a frappé un pays fragilisé depuis la fin des
années 90 par une crise multiforme, à la fois économique, sociale,
politique et nationale.
- Un pays marqué par la colonisation et le sous-développement :
islamisé aux XIV-XVème siècles, l'archipel indonésien a été
très tôt l'objet de la convoitise européenne, d'abord portugaise
puis hollandaise. Une économie de plantation se met en place,
fondée sur la culture des épices (Poivre, clou de girofle). Au
XIXème l'Etat néerlandais prend la place de la compagnie des Indes
et fait des Indes néerlandaises une véritable colonie,
introduisant de nouvelles cultures spéculatives (Hévéas, huile de
palme) et lançant l'exploitation des richesses du sous-sol
(Hydrocarbures surtout à Sumatra). La seconde guerre mondiale, avec
l'occupation japonaise, aboutit à l'indépendance accordée par les
japonais en 1945. Indépendance que les Pays-Bas sont rapidement
contraints d'accepter, sous la pression internationale et
américaine.
Les nouveaux dirigeants, menés par le leader nationaliste et
laïque Soekarno, doivent faire face à d'immenses défis : assurer
le développement économique d'un pays pauvre, multiethnique et
multiculturel, où les minorités religieuses (catholique,
bouddhiste et hindouiste) s'inquiètent de la force des musulmans. De
plus les néerlandais n'ont pas préparé le pays à
l'indépendance, ni sur le plan des infrastructures, ni sur le plan
de l'éducation.
- L'échec de Soekarno : penchant vers le marxisme et s'alliant
à un parti communiste puissant, Soekarno s'efforce de faire
de l'Indonésie une puissance régionale, alliée à ses grands
voisins dans le mouvement des non-alignés (conférence de Bandoung,
1955). A l'intérieur il gouverne au nom du "Pankasila"
(les "cinq principes" : nationalisme, internationalisme,
justice sociale, croyance en Dieu) censés fonder un consensus entre
tous les peuples d'Indonésie. Mais il échoue à assurer le
développement du pays, privé des capitaux occidentaux. En 1965,
dans un bain de sang, l'armée prend le pouvoir et se rapproche des
Etats-Unis.
- Le legs de Suharto : Le pouvoir, contrôlé étroitement par les
militaires, a certes assuré un développement réel du pays (le PIB
est multiplié par 10 entre 1967 et 1997, l'autosuffisance
alimentaire est conquise, et une politique efficace de contrôle des
naissances, la première dans un pays musulman, est mise en place),
en s'appuyant sur la rente pétrolière tout en favorisant la
diversification industrielle. Dans les années 90 l'Indonésie
apparaît comme un nouveau "dragon".
Mais la crise financière asiatique de la fin des années 90 signe
la fin du "miracle économique indonésien". La chute de
la production agricole (du fait de la sècheresse provoquée par le
phénomène El Niño) provoque une crise sociale de grande ampleur
qui dresse le peuple contre le régime mais aussi favorise des
émeutes ethniques (la minorité chinoise, souvent chrétienne, 3,5%
de la population mais 70% de l'économie, en fait particulièrement
les frais). Le clan Suharto, accusé de corruption, est contraint de
quitter le pouvoir en 1998.
- Difficile stabilisation : L'Indonésie est revenue à la
démocratie, la présidente élue en 2004, Susilo Bambang Yudhoyono,
est issue du PDI (dirigée par la fille de Soekarno), mais les
militaires gardent un poids politique considérable et toute
liberté d'action pour mener la répression au nord de Sumatra. La
crise économique n'est pas surmontée, le pays est confronté au
terrorisme islamiste (attentat de Bali en 2002) et n'arrive pas à
gérer les crises régionales (en Iryan Jaya, à Timor et au nord de
Sumatra). C'est dans ce contexte difficile que le tsunami du 24
décembre a braqué le regard de l'opinion publique internationale
sur la province d'Aceh, où une guerre de trente années se
poursuivait dans l'indifférence générale.
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La province d' Aceh ("Nanggroe Aceh
Darussalam"), d'une superficie de 55000 km² pour une population
d'environ 4 millions d'habitants (Densité = 72 h./km²), occupe la
partie Nord de l'île de Sumatra, à l'ouest de l'Indonésie, entre 2 °
et 6° de latitude Nord, 95° et 98° de longitude Est ; elle est
bordée par le détroit de Malacca au Nord et à l'Est, l'océan indien
à l'Ouest, la province de Sumatra-Nord au Sud.
- Un particularisme vivace : si les habitants de la province
(achinais) n'ont pas d'unité ethnique, ils parlent la même langue
(proche de l'indonésien) et surtout ont subi une profonde
influence culturelle arabe ; ils utilisent l'écriture arabe et sont
profondément musulmans (l'influence islamiste se fait de plus en
plus forte du fait du long conflit qui les oppose au pouvoir
central). Au XVIIème siècle Aceh est une ville de 100000
habitants, érigée en un sultanat indépendant, florissante
grâce au commerce des épices avec le reste du monde musulman. Les
premiers entrés en contact avec les européens, ils ont opposé la
résistance la plus farouche à la colonisation hollandaise, ne
mettant bas les armes qu'en 1903, après une guerre de trente
années. Dès les années trente la revendication indépendantiste
est portée par le mouvement des oulémas, qui font bon accueil aux
japonais en 1942. Après l'indépendance Aceh est incorporée dans
la province de Sumatra mais en 1957 Soekarno doit concéder un
statut d'autonomie à la province (en matière religieuse et
éducative notamment).
- Le conflit avec Suharto : le nouveau pouvoir applique une
politique centralisatrice et révoque le statut d'autonomie en 1969.
Il s'efforce d'éliminer l'influence des oulémas. La découverte de
gisements de gaz naturel et de pétrole en 1971 aggrave la
situation. La rente pétrolière est confisquée par le pouvoir
central, le développement économique a un impact négatif sur les
populations locales, qui subissent expropriations, perte des
ressources forestières par la destruction de l'environnement,
répression politique accrue, tandis que les emplois générés par
le développement industriel ( hydrocarbures, pâte à papier) et
agricole (céréaliculture, pisciculture) est réservé à des
immigrants javanais. C'est la politique de
"transmigration" dont le but officiel est de remédier à
la surpopulation de Java tout en permettant de noyer les
revendications autonomistes (à Aceh, en Papouasie, plus tard à
Timor) en changeant la composition ethnique des provinces.
- Une nouvelle guerre de trente ans : à partir de 1976 un
"Front de Libération d'Aceh" mène la guérilla contre le
pouvoir militaire, sans grand succès car il est peu soutenu par les
religieux et manque d'armes. En 1989 un mouvement plus déterminé,
le "Gerakan Aceh Merdeka" (GAM : "Mouvement pour l'Aceh
Libre"), a repris la lutte. Mais il est isolé, a provoqué à
la fois une répression plus forte encore contre les populations
civiles (une partie de celles-ci ont été contraintes de se
regrouper dans des camps de réfugiés), un gel du développement
économique. Après la chute de Suharto, le nouveau président,
Abdurraman Wahid, a eu des velléités de nouer des négociations
avec le GAM, mais les militaires, toujours prépondérants, ont
bloqué les négociations, arguant du risque de contagion et
d'éclatement du pays.
- Le Tsunami et ses conséquences : Au moment de la catastrophe la
guerre se poursuivait entre l'armée indonésienne et le GAM. Mais
les événements ont rompu le huis-clos entre les
protagonistes, braquant les projecteurs sur ce conflit oublié, et
mettant en évidence à quel point les Achinais ont des raisons de
se plaindre du pouvoir central. L'armée, contrainte, a du
accompagner les secours apportés par les ONG et surtout
subir l'ingérence des puissances, en particulier des USA, tout en
interrompant les opérations contre le GAM. Mais le conflit a repris
ces dernières semaines, la catastrophe n'aura peut-être eu
aucun effet positif vers une solution politique.
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