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Apprendre avec les situations-problèmes : mise en pratique dans « une classe inversée ».

jeudi 20 novembre 2014, par Jean-François Boyer

Rflexions et usages de la situation-problème dans une classe inverse

Dans une classe inversée, c’est-à-dire lorsque le professeur met à disposition certains savoirs en-dehors de l’espace classe, par une capsule vidéo par exemple, il est important de définir une stratégie pédagogique gérant le temps et son usage en classe et en-dehors.


La classe inversée s’intègre dans la démarche pédagogique d’approche par compétences. En effet, dans cette démarche, les élèves doivent savoir utiliser les connaissances du programme dans des situations d’apprentissage. Il ne s’agit pas de maîtriser des savoirs pour eux-mêmes mais de les investir dans des situations nouvelles, qui feront appel à une réflexion liée à des capacités et des attitudes. Le professeur devient un metteur en scène de savoir.

La classe inversée apporte des savoirs en-dehors de la classe. Ils seront évalués en classe et mis en pratique par différents procédés qui forment une stratégie pédagogique pour acquérir des connaissances. En classe viendront s’ajouter ou seront découverts d’autres savoirs. La capsule vidéo ne donne pas tout. Elle apporte des pistes, certains éléments. La capsule vidéo n’est pas toujours donnée avant une séquence, qui débutera plutôt par une situation-problème. C’est l’objet de cet article.

La situation-problème n’a rien d’innovant puisqu’elle a été développée dans les années 70-80 (voir les pages 21 et suivante Michel Huber, A.Dalongeville).
Par situation-problème, on entend (si je suis G.De Vecchi et M. Huber, A.Dalongeville par exemple) créer une rupture cognitive et socio-cognitive : en quelques sortes, un avant et un après, une manière de voir, de penser, de connaître et de comprendre modifiée et susceptible d’être encore changée ou complétée puisque de toute manière les compétences s’acquièrent tout au long de la vie ! La situation-problème est un processus créatif d’une rupture et d’une reconstruction des savoirs, des capacités ou des attitudes, bref d’apprentissage. Pour Gérard De Vecchi, la situation-problème « permet de donner du sens aux activités des apprenants, en les provoquant, en créant chez eux des conflits cognitifs qui, s’ils sont bien gérés par l’enseignant, sont porteurs d’une forte dynamique d’apprentissage. Aider les élèves à entrer dans un sujet, ce sera donc les perturber. La provocation devient ainsi un outil majeur en pédagogie ».
Comment mettre en pratique les situations-problèmes dans une stratégie pédagogique ?

Je propose en début de séquence (un thème du programme), un petit texte qui présente une situation et génère un questionnement. L’élève répond à une problématique un peu provocatrice, amenée par une série de questions. Mais pour atteindre l’objectif, il faut que la réflexion proposée touche l’élève : elle ne doit pas être tout de suite trop historique ou géographique par exemple, mais plutôt d’ordre « philosophique », « civique », « métaphysique ». Je ne cherche pas à savoir de façon spécifique ou exclusive ce qu’il sait sur le thème du programme. Je ne pose pas la question : que savez-vous par exemple sur l’Orient Ancien ? (En règle générale les réponses pour ce type de questions étaient pauvres car sujet nouveau ou cours des années précédents plus compliqués à solliciter). Pour y remédier, j’ai décidé de passer par des situations-problèmes.

Par exemple, voici une situation problème présenté en classe de sixième :

Entre 11 000 et 6 000 avant J-C la population est multipliée par 10 pour atteindre environ 50 millions d’hommes dans le monde. L’agriculture est à l’origine de cette évolution, marquée aussi par la sédentarisation (les hommes vivent sur place : contraire du nomadisme). En Mésopotamie, Égypte, Inde, Chine, Mexique et Pérou les hommes se regroupent : ils créent des villages et des cités en particulier dans la région du sud de l’Euphrate et du Tigre : le pays de Sumer.
Mais comment habite-t-on dans une cité ? Qui y vit ? Quelles sont les activités ? Qu’est-ce qu’une cité ? Est-ce pareil de nos jours ? Qu’en pensez-vous ?

 

Je cherche à les faire s’interroger sur le concept de cité… Les élèves évoquent rapidement la cité au sens d’aujourd’hui. Ils proposent ce qu’ils connaissent. Ils apportent des éléments que l’on retrouve dans la cité d’aujourd’hui, qu’ils y vivent ou pas (regard de la télévision et des autres…). Par des hypothèses ils apportent des éléments de la cité d’hier (espace urbain, logements, rues… par exemple voir le compte rendu au tableau, image ci-dessus). L’enseignant repère également des manques, des vides, des non-dits… Cela permet de faire construire la problématique par les élèves : « c’est quoi la cité il y a 5 000 ans ? », « Comment vivent les habitants dans les cités en Mésopotamie ? », « Qu’est-ce que c’est qu’une cité dans l’Orient ancien ? ».

Prenons un autre exemple. Voici l’intitulé du début de cours sur le régime totalitaire Stalinien en 3e :
Le régime politique de Staline.

Définitions communisme et capitalisme : voir la vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=33wMbM5dlWY&list=UU-gfdakon_OcB7Uz92E3Ahg
1917 : révolutions Russes par Lénine. En 1924, Lénine meurt et une lutte pour le pouvoir s’engage. C’est finalement Staline qui s’impose en 1928 comme le seul dirigeant de l’URSS.
Situation-problème.
Marx, Lénine et d’autres (comme Staline) veulent une société sans classe. Si on mettait en place une société égalitaire. Qu’en pensez-vous ? Comment allez-vous faire ?

 

Comme on peut le constater, dans cet exemple, je donne le titre de mon thème, je vérifie que des définitions sont bien comprises (rappel de 4e et vues dans la vidéo précédent la leçon dans le cadre d’une classe inversée), reprise de quelques éléments sur Lénine et Staline puis finalement, nous lisons la situation-problème. La situation-problème telle que je la conçois ici, suppose une réflexion sur un concept qui touche, je suppose, tout le monde : la question de l’égalité. Question qui surprend les élèves : comment mettre en place une société égalitaire ? Question qu’ils ne s’étaient pas forcément posée…
Pourquoi interroger les élèves sur le concept d’égalité ? Parce qu’il a été vu l’année précédente en 4e dans le programme d’histoire avec la question de la Révolution Française et des droits de l’homme et en 5e avec les deux questions au programme, « des êtres humains une seule humanité » et « l’égalité une valeur en construction ». Je réactive des connaissances. J’interpelle sur la mise en place d’une société égalitaire. Est-ce qu’on peut mettre en place une société égalitaire économiquement et socialement ? Comment imposer une société égalitaire ? Ou bien, est-ce qu’une société égalitaire doit se construire sur la longue durée ? Cette situation-problème va élargir le champ du savoir sur ce concept. C’est mon intention, un de mes objectifs. (en plus de parvenir au concept de régime totalitaire - en discussion parmi les historiens -, puis de mettre en perspective avec le cours suivant, sur la République et la démocratie en France).
On voit bien que la situation-problème va apporter une réflexion, une rupture, un usage de savoirs dans des activités d’apprentissage. L’élève va construire des savoirs. Les activités d’apprentissage complexes prévues vont y répondre.

Par ailleurs, la situation-problème suppose aussi un certain suspens. J’apporte une situation à mes élèves mais je ne sais pas ce qui m’attend. Comment les élèves vont y répondre. Auront-ils des réponses, voudront-ils réfléchir ? Oui, je rassure le lecteur, j’ai des réponses, j’ai des hypothèses, j’ai des idées, des réflexions même si cela n’est pas évident aussi bien pour un élève ayant des bons résultats scolaires qu’un élève ayant des résultats moins satisfaisants (en terme d’évaluations notées par exemple).
Cette situation d’apprentissage apporte un départ, mais finalement, je ne sais pas comment va se dérouler la course d’où pour moi, aussi…un intérêt : je ne suis pas dans la routine, je plonge à l’image de mes élèves dans un certain suspens. Je suis comme eux dans la construction d’un savoir.
Enfin, la situation-problème peut être aussi une évaluation diagnostique sur le thème principal abordé dans la séquence. Des conceptions, des idées, des savoirs importants ou quasi inexistants vont surgir dans la réflexion.
Le travail de l’élève lors de la situation-problème est réalisé à travers une démarche personnelle dans un premier temps puis un travail en groupe retransmis par la suite à la classe par l’un des membres du groupe (voir cet article sur l’intérêt du travail de groupe : http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/spip.php?article778 ).
Comme on le voit, la situation-problème a pour but de faire réfléchir les élèves sur leurs compétences (connaissances, capacités et attitudes) et aussi de les faire réfléchir sur eux-mêmes, leurs manières de penser, de travailler seul et en groupe. Il est très intéressant de voir des élèves que l’on entend peu si l’on pose des questions de type connaissances, participer car ils découvrent qu’ils ont le droit d’émettre des hypothèses, c’est-à-dire quelque chose qui, par essence, peut être juste ou faux ! On a le droit dans une situation-problème d’oser dire des choses qui peuvent se révéler fausses, mais révélatrices de certaines conceptions !
L’émergence de ces idées sera mise par écrit sous la forme d’un tableau ou d’une première carte mentale ou topogramme par l’enseignant et/ou les élèves.

 

A l’issue de ce premier travail, des questions vont être proposées par les élèves par rapport à notre thème. Elles viennent plus facilement car l’heure est construite dans une dynamique d’hypothèses et d’idées exprimées par chacun (par exemple : comment Staline met-il en place sa société inégalitaire ?).
A partir de là, une ou des situations d’apprentissage sont proposées pour répondre à cette vaste question…qui devra être rappelée constamment : il faut que l’élève se souvienne de la situation-problème et de la question problème. Ainsi, à travers la ou les tâches, l’élève construit des objectifs mis en place par la situation-problème et la problématique qui en découle. La séquence conduira à définir (niveau collège) le régime totalitaire Stalinien et il aura réfléchi sur le concept d’égalité pour sa mise en place…Nous reverrons le concept « égalité » dans le premier thème d’éducation civique …
Bien sûr, il sera indispensable de terminer la séquence par « une réponse » aux questionnements issus de la situation-problème : la grande majorité des élèves avaient une réponse floue pour la mise en place de l’égalité (voir la photo ci-dessus).

En conclusion, la situation-problème permet de réfléchir et de produire. Produire en classe est nécessaire pour répondre à la fameuse phrase d’Aristote « on ne sait bien que ce l’on a fait soi-même ». Mais attention de ne pas oublier l’essentiel : les élèves doivent apprendre, c’est-à-dire mémoriser et surtout comprendre des savoirs, des capacités et des attitudes. Dans cette démarche dynamique, active de réflexion, c’est tout à fait possible d’obtenir ces objectifs. Mais cela ne suffit pas. Il faut encore d’autres éléments…comme par exemple fournir des indicateurs de réussite, former les élèves à réfléchir sur leur travail (métacognition) etc…


Bibliographie :
M.Huber, A.Dalongeville, (se) former par les situations-problèmes, des déstabilisations constructives, chronique sociale, Lyon, 2011.
G.De Vecchi, Aider les élèves à apprendre, Hachette éducation, Paris, 2014