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L’action de femmes pauvres, pour transformer leur quotidien dans un bidonville du Cap.

jeudi 26 janvier 2017, par F.Gaveau, Jean-François Boyer

Fabien Gaveau propose un compte rendu d’un ouvrage de Salma IsmaIl.

Compte rendu publié dans Études Rurales 2ème semestre 2015

Salma Ismail, The Victoria Mxenge Housing Project. Women building communities through social activism and informal learning, Cape Town, University of Cape Town Press, 2015, 166 p.

Ce livre décrit l’action de femmes pauvres associées pour transformer leur quotidien dans un bidonville du Cap. L’apprentissage hors cadre institutionnel est au cœur de la réflexion. Pauvres, venues des campagnes, ces femmes ont eu besoin de se former pour mener un projet de construction de logements sur des terrains légalement obtenus. Sans la rencontre de l’une d’elles avec l’auteure, enseignante et militante de l’éducation pour adultes, ce livre intelligent et agréable à lire ne serait pas.

Le premier chapitre présente le contexte du Victoria Mxenge Housing Project (VM), nommée en hommage à une activiste assassinée en 1985, et son animatrice, Patricia Matolengwe, d’origine rurale, établie dans le bidonville de Khayelitsha, engagée dans la Ligue des femmes de l’ANC.

Elle s’est appuyée pour agir sur le People’s Dialogue on Land and Shelter (PD), né après la rencontre de Broederstroom (1991) sur l’accès à la propriété et à un logement décent, et sur des associations comme la South African Homeless People’s Federation et le Shack/Slum Dwellers International, organisation ayant permis un transfert d’expérience depuis l’Inde, le Brésil et d’autres pays.

Le chapitre 2 rappelle, dans le sillage d’Antonio Gramsci et de Paulo Freire, que les plus pauvres ont besoin de se former pour transformer leurs conditions, voire pour peser sur les structures d’État. Les femmes rassemblées autour de Patricia Matolengwe ont appris pour agir. Elles disent avoir voulu « du savoir, du pouvoir et de l’argent ».

Toutes voisines dans le bidonville, les femmes rassemblées se méfient du rapport au pouvoir que les hommes entretiennent dans un contexte sociétal très patriarcal. Elles critiquent les solutions de survie fondées sur la violence et les trafics et font valoir leur responsabilité de mère pour améliorer le quotidien.
De 1992 à 1998 (chapitre 3), le projet évolue d’une entraide pour rassembler des moyens financiers et des énergies, à l’acquisition de terres et à la construction de logements avec attribution individuelle de la propriété des lots. La microfinance, imitée de l’Inde, inspire l’action. Les ministères sont mobilisés. Ces femmes sollicitent les ministères, préparant les entrevues par des simulations dans le bidonville. Elles obtiennent de l’Église catholique les terres dont elles ont besoin, ce qui limite les efforts auprès des autorités civiles.

Aidées par un architecte, elles conçoivent les logements. Certaines notent que sachant cuisiner, elles peuvent suivre un plan de construction. Elles apprennent les règles d’un budget, le contrôle des coûts, à bâtir, à fabriquer des briques. Elles développent des compétences, apprennent à se faire confiance et font jaillir des logements. La nécessité de s’entraider, discuter, négocier, résoudre les problèmes engendre une communauté et un espace démocratique au sein du quartier.

En 1998, les époux sont informés que chaque maison sera enregistrée sous le nom de l’épouse. L’exigence est si attentatoire à l’ordre patriarcal que beaucoup de femmes plient devant leur époux, mais pas toutes. Leur détermination paie en 2002 quand l’État reconnaît le droit d’enregistrer la propriété du terrain et de la maison sous le nom de chaque conjoint.

De 1998 à 2001 (chapitre 4), les femmes du VM sont mobilisées pour transmettre leur expérience. Elles enseignent en empruntant à leur culture les outils pertinents : le ton des prêches, les références maternelles, féminines… Or, l’impatience des mal-logés grandit. Les occupations illégales de terrain se multiplient. Les pouvoirs publics s’inquiètent.

Un partenariat financier et politique est pensé entre le VM, les mouvements sociaux et le ministère du Logement pour conduire des constructions nouvelles en 2001. Le VM estime pourtant que la mobilisation des femmes ne vise pas simplement à construire des logements, mais à améliorer globalement la position sociale des bénéficiaires et à créer un sens collectif.

Dans les faits, la dynamique communautaire est moins présente là où les projets d’amélioration de l’habitat ne sont plus conduits par les bénéficiaires attendus. En outre, si les femmes du VM parlent de leur expérience, il n’y a plus d’échanges à l’occasion du travail concret de construction, là où l’apprentissage est le plus efficace entre individus. Après 2003, les organisations de terrain deviennent surtout les relais du ministère du Logement.

Ce travail démontre l’aptitude des plus pauvres à agir. La dynamique du projet pousse à acquérir des compétences autrement que par une approche institutionnelle. Le militantisme des acteurs soutient leur énergie et leur donne les premières clés pour agir, preuve que le pouvoir de changer le quotidien ne réside pas seulement entre les mains des grandes institutions.

L’auteure ne néglige pas les jeux d’acteurs et les rapports de force. La reprise en main des projets par le gouvernement en amoindrit l’impact sur la cohésion sociale. En ce sens, l’autonomie des acteurs questionne. Livrés à eux-mêmes par l’État, leur situation est très mauvaise. Toutefois, les autorités agissent car elles ne veulent pas voir naître une force sociale et politique concurrente.

L’étude viendra utilement nuancer les approches juridiques sur le droit des femmes en Afrique du Sud. Aucune fatalité ne les retient mineures. Enfin, les ruralistes liront que ces femmes ont mis en œuvre une expérience rurale pour fonder leurs actions dans les bidonvilles. Un livre essentiel pour tempérer parfois les préjugés de certaines recherches.

Fabien Gaveau

Voir les articles sur l’Afrique :
Compte-rendu de la conférence d’Alain Dubresson, donnée le 1er décembre 2016, à l’Université de Dijon (Amphithéâtre du Pôle Economie et Gestion), dans le cadre de formation à la mise en œuvre des nouveaux programmes de géographie du collège, cycle 4.
http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/spip.php?article895#895