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Etude de cas : la mission de Phnom-Penh en Cochinchine, fin XIXè-début XXè siècle

lundi 22 février 2021, par Angélique MARIE webmestre, M.P.Cerveau

Marie Pierre Cerveau propose une étude de cas destinée à des élèves de 4ème, dans le cadre du thème 2 d’histoire : L’Europe et le monde au XIXè siècle ; conquêtes et sociétés coloniales. Cette proposition peut être adaptée en lycée.

En préambule :

Cette étude de cas, présentée en bas de page, est constituée de nombreux documents inédits. Elle est destinée à des élèves de 4ème. Elle s’inscrit dans le thème 2 intitulé L’Europe et le monde au XIX° siècle et le chapitre consacré aux Conquêtes et sociétés coloniales. La problématique de la place des Églises et de leurs rôles dans la colonisation, dans divers domaines (et pas seulement culturel), est mise en évidence dans les documents proposés aux élèves.

L’étude de cas peut être adaptée en lycée  :
- en classe de première générale et technologique (Thème 3 ; Chapitre 3. Métropole et colonies).
- en spécialité HGGSP, classe de terminale, thème 6, Axe 1, Jalon "Donner accès à la connaissance : grandes étapes de l’alphabétisation des femmes du XVIe siècle à nos jours dans le monde".

Dans le cadre d’un enseignement à distance, le travail collaboratif, par binôme, peut être effectué, via des applications comme framapad ( https://framapad.org/fr/). Les productions écrites individuelles peuvent être envoyées directement dans le classeur pédagogique de l’ENT Éclat, en créant une activité avec remise en ligne d’un document.

Mise au point scientifique et contextualisation

Dans la seconde moitié du XIXè siècle, sous les effets conjugués de l’industrialisation et de l’urbanisation, pratique religieuse et vocations s’effondrent en France et en Europe. Des congrégations religieuses essaiment alors dans les campagnes et les colonies. La colonisation leur offre de nouveaux horizons pour créer les missions, destinées à évangéliser les peuples colonisés et à dynamiser leurs Églises, qui se repliaient sur elles-mêmes, faute de renouvellement spirituel.

Quelques indications préalables concernant cette étude de cas : au XVIIIè, J.-M. Moyë, curé près de Metz, choqué par l’ignorance intellectuelle et religieuse des jeunes filles, décide que ces dernières recevront une instruction gratuite donnée par les Sœurs de la Providence (nom qu’il donne à cette congrégation), qui font vœu de pauvreté. En 1803, le curé de Portieux (Vosges) demande que deux Sœurs de la Providence rejoignent sa paroisse. En 1806, naît la Congrégation des Sœurs de la Providence de Portieux, qui ouvre des écoles aux jeunes filles pauvres, en France et dans les colonies.
Les écolières y apprennent à lire, écrire, compter, tenir leur futur foyer, soigner les malades. Les Sœurs de Portieux s’installent dans plusieurs villages nivernais, dont Menou.
Si la présence des missions catholiques (espagnoles, portugaises, italiennes et françaises) en Asie du Sud-Est date du XVIIè, les persécutions des chrétiens s’y multiplient au XIXè. Dans la seconde moitié du XIXè, cette partie du monde, convoitée par les Occidentaux (Anglais, Français), à la recherche de matières premières (soie, coton...) et de débouchés pour les produits finis (vêtements...), est instable. Les missions étrangères de Paris font du lobbyisme auprès des politiques pour que ces derniers instaurent un protectorat. La Cochinchine, affaiblie par des problèmes de succession, est envahie par la France en 1858 et officiellement annexée en 1862 par le traité de Saïgon. En 1863, le Cambodge devint protectorat français. Malgré un contexte peu rassurant [conflit franco-chinois (1881-1885), troubles au Cambodge en 1885-1886], la France annexe le Vietnam en 1885.En 1887, les Français proclament l’Union indochinoise qui fédère le Cambodge et les trois régions formant le Vietnam  : les protectorats du Tonkin et de l’Annam et la colonie de la Cochinchine.

Présentation de la Mission de Phnom-Penh, fin XIXè-début XXè

La mission catholique de Phnom-Penh, créée en 1876, s’étend sur le royaume du Cambodge et l’Ouest de la Cochinchine. Elle couvre une très vaste superficie de 200 000 km², soit près du tiers de la surface métropolitaine de l’époque, puisque la France a été amputée de l’Alsace-Lorraine (traité de Versailles, 1871). Son centre est Cùlaogien, inscrit sur l’île éponyme de 50km², dans le delta du Mékong, entre deux bras du fleuve. Sous climat tropical humide, à saison sèche, le lieu est confronté à de fréquentes catastrophes naturelles (typhons, inondations) et épidémies [ choléra (déshydratation provoquée par l’ingestion d’eau souillée, entraînant des diarrhées mortelles, si le malade n’est pas très vite réhydraté), paludisme ], générant disettes, pauvreté (l’abandon de nouveaux-nés est courant) et mortalité effrayante. Début XXè, celle-ci dépasse 88% des bébés reçus à la crèche de Cùlaogien...
Les Sœurs de la Providence de Portieux sont envoyées là-bas, sans qu’à aucun moment leur avis ne leur ait été demandé... Le voyage en bateau dure de quelques mois (4 à 6) à trois ans, selon les périodes de l’année, les cataclysmes. Avec l’aide des natifs, les Sœurs édifient écoles, orphelinats, séminaire, hôpitaux, ateliers, etc. En 1909, l’éducation apportée aux filles est saluée par le Directeur des Missions étrangères en visite à Cùlaogien : "j’ai vu élever de vraies femmes et non pas des demoiselles". Y sont dispensées les langues locales (cambodgien au Nord de la Mission, vietnamien en Cochinchine) aux plus jeunes, le français, aux jeunes filles âgées d’au moins 18 ans (venant de familles plus aisées), destinées à un mariage bourgeois, et la religion catholique, dès le plus jeune âge. Le rôle culturel de la Mission est donc important dans cet espace colonisé.
Leurs connaissances sanitaires et les médecines locales, l’hôpital, formé de pavillons, la maternité font reculer la mortalité. Les progrès médicaux bénéficient aux habitants de la région.
Dès l’âge de 12 ans, les pensionnaires aident aux travaux nécessaires au bon fonctionnement de la maison principale, qu’est Cùlaogien : lessive, cuisine, jardinage, repassage, soin aux plus jeunes. S’y ajoutent pour certaines, reliure, broderie, dévidage et tissage de la soie, cordonnerie (fabrication de 500 paires de chaussures par an). Toutes les jeunes filles apprennent la couture durant une année complète. Cette activité leur permettra d’être plus tard autonomes financièrement. Début XXè, cette Mission, dynamique, autonome au plan alimentaire, présente un budget excédentaire grâce aux ventes des produits fabriqués par les pensionnaires. Cette mission exerce donc un important rôle économique au Cambodge et en Cochinchine.
La Mission de Phnom-Penh vit de son travail, du commerce réalisé avec la vente de produits qu’elle fabrique (soieries, broderies...), des économies réalisées au quotidien et de dons. Elle participe activement à la colonisation de cet espace géographique.

Au sujet d’Eugénie Prestat (1846-1933)

Eugénie Prestat (1846-1933) née à Menou, fréquente l’école de Sœurs de la Providence de Portieux, prend l’habit à Portieux en 1868, devient Sœur Pulchérie en 1875. Elle est envoyée à Corbie (Somme), en 1875, puis fin 1882, à Cùlaogien, où la Mission de Phnom-Penh, conduite par 6 Sœurs de la Providence de Portieux, a ouvert en 1876, après celle de Mandchourie (Chine) créée en 1875. Rien ne la prédestinait à s’engager en religion et à partir très loin des siens. Embarquant à Marseille (elle s’y fit photographier en habit), fin 1882, son voyage fut un aller sans retour. Elle arriva à Cùlaogien en 1883, durant une terrible épidémie de choléra ayant provoqué des milliers de morts, parmi lesquels figure l’une des six fondatrices de la Mission. Son parcours est retracé par des échanges épistolaires constituant un fonds documentaire que les descendants des destinataires regroupent au fil du temps.
Pulchérie devint Supérieure de Cùlaogien. Une fête fut organisée, lors du jubilé (50 ans de présence) de "Grand-Mère" (le surnom donné par les pensionnaires) en 1933, à Cùlaogien. Elle s’éteignit quelques mois plus tard, à près de 87 ans, après une vie de rude labeur.

Démarche pédagogique

Ce travail s’effectue en classe, seul ou en binôme (respect des gestes barrières), ou hors classe.
Dans un premier temps, les élèves prélèvent les informations fournis par cette étude de cas et les analysent en répondant aux questions. Ils réalisent ensuite une carte mentale montrant les rôles joués par la Mission catholique de Phnom-Penh à Cùlaogien et dans ses environs.

Ces travaux préparatoires conduisent les élèves à répondre au sujet : En t’aidant de ton livre et des documents proposés, montre que la colonisation a bouleversé les espaces dominés dans les domaines culturel et social, politique, économique.

Si l’entrée choisie pour répondre à ce sujet est souvent le domaine politique, ici, les domaines culturel et sociétal ont été préférés car, d’emblée, les sociétés colonisées ont été déstructurées par l’arrivée des missionnaires ( venus évangéliser ces contrées, pour faire reculer polythéisme et animisme) et des administrateurs, tels les gouverneurs, venus montrer la puissance métropolitaine, aux plans politique et militaire. Ces sociétés s’ancraient dans un quotidien marqué par des rites violents, voire barbares (scarifications, tatouages, banquets anthropophagiques), accompagnés de chants et danses, perçus par les métropolitains comme diaboliques. Toutes ces pratiques furent interdites par des lois et punies (les notions de Bien et de Mal sont méconnues des natifs), afin de ramener le calme et la paix entre les tribus. Certains peuples colonisés, déculturés, se laissèrent mourir, comme les Marquisiens dont l’effectif passa de 90 000 (estimation haute, faite par Cook, fin XVIIIè) à environ 2 000 début XXè. D’autres, acculturés, tels les Tahitiens, ne retrouvèrent pas leur culture originelle.
Parallèlement à l’évangélisation, la colonisation permet la diffusion des langues, surtout l’anglais et le français en Eurasie, au Proche et Moyen-Orient et en Afrique. Les écoles, les lieux de pouvoir (bureaux du Gouverneur, des diplomates...) transmettent leur langue. Les livres sont traduits (en premier chef, la bible) tant bien que mal, car l’apprentissage et la retranscription des langues locales sont complexes. Souvent, l’indigène n’écrit pas sa propre langue, il la parle et sa parole est sacrée, ritualisée. Les enseignants métropolitains ont tenté d’éradiquer les langues natives dans les écoles des colonies, punissant l’écolier indiscipliné, en vain, car l’enfant parlait sa langue maternelle à sa sortie de l’école. Les programmes métropolitains, dont l’Histoire de France, étaient inculqués aux enfants des pays colonisés, avec un certain décalage et une totale incompréhension métropolitaine.
Aux plans administratif et politique, la métropole transcrit ses décisions dans sa langue – parfois traduite - et ses méta-langages administratif et juridique. Les interdictions et punitions infligées aux "rebelles" sont incomprises et, souvent mal vécues. Si les villes, où l’administration emploie la maréchaussée, voire l’armée pour se faire obéir et punir les contrevenants, perdent vite leurs repères sociétaux, les périphéries éloignées les préservent en partie.
Quand la vaccination est au centre de nos discussions actuelles, pour faire chuter la sur-mortalité dans les colonies, l’administration coloniale mena dès la fin du XIXè, des campagnes de vaccination (via les dispensaires et hôpitaux, conventuels et publics), d’hygiène et une attention à la qualité de l’eau. Il conviendra de rappeler d’une part, les contextes géographiques (surtout des espaces tropicaux) et sanitaires (maladies endémiques et épidémies : peste, choléra... ; eaux souillées), la grande misère et, d’autre part, les connaissances médicinales locales des guérisseurs, des matrones et la présence de médecins métropolitains, effectuant des recherches sur les maladies endémiques, tels Calmette (en 1890, il dirige le laboratoire de microbiologie de Saïgon), Yersin (engagé dans la marine en Cochinchine de 1890 à 1893, il découvre le bacille de la peste en 1894), au Gabon, Schweitzer travaille sur la lèpre, la maladie du sommeil... L’abnégation des soignants, tentant de stopper les épidémies, d’améliorer le quotidien des patients, a généré de fulgurants progrès sanitaires et l’allongement de l’espérance de vie.
Si la colonisation économique diffère selon les espaces, le but est partout le même : faire gagner de l’argent à la métropole et aux compagnies occidentales. La mécanisation introduite dans les colonies, modifie les méthodes de travail (sur les plantations) et améliore les rendements. La création de ports et d’axes de transport désenclave les régions mais la colonie ne bénéficie pas toujours des revenus engendrés par ses richesses. Elle est pillée, quand les métropolitains accaparent les meilleurs terres.
Si la main d’œuvre locale est souvent réduite à l’esclavage (esclavage aboli en France en 1848), néanmoins, une partie de la société locale voit ses conditions d’existence s’améliorer.
La colonisation a bouleversé les espaces dominés dans tous les domaines. Elle a généré des conséquences négatives - acculturation sociétale, soumission des peuples, dépossession des terres, etc. - et des aspects positifs : progrès sanitaires, recul de la sur-mortalité, meilleure instruction des filles, jusqu’alors laissées dans l’ignorance, progrès économiques, désenclavement des espaces intérieurs, éloignés des littoraux...

Auteur : Marie-Pierre Cerveau.
Mise en page : Angélique Marie.

Documents et démarche :
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