search

Accueil > S’informer > Mises au point scientifiques > Mises au point scientifiques Histoire > Les campagnes ont-elles connu une Renaissance ?

Les campagnes ont-elles connu une Renaissance ?

RDV Blois 2012 - Thème : Les paysans

lundi 29 octobre 2012, par Gaëlle Charcosset

Table ronde organise par le Centre d’tudes suprieures de la Renaissance (CESR), runissant Pascal Brioist, professeur au CESR-universit François Rabelais de Tours, Samuel Leturcq, maître de confrences à l’universit François Rabelais de Tours, Marie-Claude Marandet, professeure à l’universit de Perpignan et Catherine Varna, professeure à l’universit Paris VIII.

Présentation générale (Pascal Brioist)

La question de la reprise démographique

La reprise démographique est réalisée selon des chronologies très variées selon les régions. Elle est précoce dans le Lyonnais, mais beaucoup plus tardive en Champagne et en Bretagne (fin XVe siècle). Aux environs de 1560, les niveaux du XIVe s. sont rattrapés (la France compterait alors environ 20 millions d’habitants).

Ce rattrapage s’explique d’une part par la hausse de la fécondité obtenue par un abaissement de l’âge au mariage (installation plus précoce possible par décès des générations précédentes) et d’autre part par une augmentation de l’espérance de vie grâce à l’amélioration des productions agricoles (conditions climatiques favorables) et donc des ressources alimentaires permettant de mieux résister aux conditions de vie.

L’évolution des paysages

Les paysages subissent de nombreuses mutations du fait :

- des terres restées en friches depuis le XIVe siècle ;

- les aménagements de routes fluviales et terrestres ;

- l’introduction de nouvelles plantes originaires d’Amérique et leur diffusion, comme le maïs dans le Sud-Ouest ;

- l’essor de la vigne qui se développe en direction du Nord, des plantes industrielles liées aux activités textiles, de l’élevage, de l’arboriculture, etc.

Est-ce qu’un capitalisme agraire se met en place ?

Il semblerait qu’un capitalisme agraire se mette en place dans certaines régions (voir les travaux de Jean Jacquart et de Jean-Marc Moriceau) : le contrôle sur les paysans se serait accru, les grands propriétaires verraient leurs profits augmenter, une partie de la production serait tournée vers le marché, notamment les cultures spéculatives.

Cependant, il existe des crises démographiques, des problèmes de soudure et une tendance longue à l’inflation des prix du fait de l’arrivée des métaux précieux, aussi les prix alimentaires augmentent-ils. La situation reste donc à bien des égards fragile.

Une renaissance culturelle ?

L’écrit entre dans les campagnes, lentement puis massivement au XVIe siècle (voir Pierre de Gouberville, les colporteurs, Dominico Scandella dit Menocchio, le meunier du Fromage et des vers, etc.).

La circulation des savoirs techniques est également importante, telle les moulins à vent ; des savoirs techniques naissent d’ailleurs dans les campagnes (Léonard de Vinci leur accorde un très grand intérêt).

L’exemple du Lauragais

Marie-Claude Marandet développe la situation du Lauragais, région considérée comme riche avant et après le XIVe siècle, mais décrite comme pauvre ou en stagnation au XVe siècle. La consultation des archives notariales et des livres d’estime permet de dégager deux périodes.

Entre 1380 et 1410, de nouvelles inféodations ont lieu, très rapidement après le décès ou le départ du tenancier ; il y a peu de déguerpissements, du moins devant notaires ; les seigneurs veulent que les terres soient cultivées et ils maintiennent les charges ; les propriétaires d’alleux louent. L’ensemble des signes démontrent une reconstruction.

La période de 1420 à 1460 donne l’impression que l’essentiel de la reconstruction a été fait. Des droits d’entrée pour prendre les tenures devenues vacantes prouvent que les paysans ont de l’argent venant des cultures spéculatives et de l’élevage. De même, des paysans extérieurs à la région s’installent (venant de régions plus pauvres). Durant cette période, la reconstruction s’achève dans les zones marginales avec la vente de terres laissées en friches de manière pérenne. La réserve est parfois découpée pour donner des parcelles en fermage ou en métayage.

L’évolution des paysages (Sylvain Leturcq)

Selon Sylvain Leturcq, les campagnes ne sont jamais mortes, elles se sont adaptées aux différentes crises connues à la fin du Moyen-Age. Il s’interroge sur l’existence, aux XVe-XVIe siècles de dynamiques fortes dans les campagnes. C’est par le prisme des paysages qu’il entend apporter des éclairages.

Existe-t-il des éléments de rupture ?

La conjoncture est difficile, avec une chute démographique qui contraint de s’adapter. Il existe également des problèmes structurels d’approvisionnement et une crise des seigneuries dont les revenus sont en chute libre. Il semble que les espaces périphériques soient désertés et que la population se concentre dans les espaces réputés plus productifs.

Ainsi, en Beauce, entre le début du XIVe et la moitié du XVe siècle, il y a une chute des terres cultivées d’environ 20 %. Ce sont des friches émiettées dans le territoire. Dans la deuxième moitié du XVe siècle, ces friches isolées, dispersées sont remises en culture. Ainsi, le paysage n’est pas bouleversé en profondeur.

Néanmoins, il existe, à partir des années 1480 et durant le XVIe siècle, des modifications importantes des paysages du fait de la modification des activités agricoles. Ainsi, le développement de l’élevage entraîne la création d’un bocage, un enherbage assez rapide dans le Toulousain. Cet investissement dans le pré s’observe dans toutes les campagnes, car l’élevage est une activité spéculative qui s’appuie sur une modification de la consommation alimentaire. Par exemple, l’archéologie révèle qu’à Tours, les vestiges d’os sont à 45 % ceux de porc, à 27 % de bœuf et à 27 % de caprinés au XIVe siècle, à 18 % de porc, 40 % de bœuf et 42 % de caprinés au XVe siècle, à 12 % de porc, 38 % de bœuf et 50 % de caprinés au XVIe siècle. Il y a donc une marginalisation de la consommation du porc par rapport aux autres viandes, ce qui induit des transformations sur les campagnes.

De même, la carte des vignobles évolue : les vignobles de l’Orléanais et d’Île-de-France, très réputés au Moyen-Âge, périclitent, tandis que d’autres se développent et la commercialisation de leurs vins en dehors de la région s’intensifie (ex. Tourangeais). Les vignobles sont également de plus en plus présents autour des grandes villes.

En conclusion, on ne peut pas parler, selon Sylvain Leturcq, d’une renaissance des campagnes aux XVe-XVIe siècles, mais plutôt d’une revitalisation.

Les savoirs techniques

Catherine Verna, spécialiste de l’histoire des techniques, tend à nuancer les apports des XVe-XVIe siècles ; le XIIIe siècle donne lieu à un renouvellement des campagnes plus important.

Sur le plan de l’artisanat et de l’industrie, il y a une continuité entre le XIIIe et le XVIe siècles. La différence entre les deux activités tient au marché, local pour l’artisanat, plus vaste pour l’industrie (il existe des marquages spécifiques à l’industrie rurale qui permettent d’identifier les produits et de lui reconnaître des qualités spécifiques).

Dans l’industrie, le Verlagssystem existe dès la fin du XIIIe siècle ; c’est un système dominé par les villes (polarisation) qui peuvent distribuer à l’extérieur de ses murs ce qu’elles ne souhaitent pas produire. Cet investissement urbain peut être très lointain, comme les capitaux florentins qui sont investis dans la région de la Lys (nord de la France). Au XVe siècle – mais peut-être est-ce un effet de sources –, de nouvelles organisations émergent, avec des investissements et des choix techniques originaires des campagnes, par une notabilité rurale (médecins, apothicaires, notaires).

L’existence d’une pluriactivité a été brièvement présentée.