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Gouverner les Juifs dans le Gouvernement général, 1939-1944

jeudi 19 novembre 2020, par C. Guerin

Caroline Guerin propose un compte rendu de la table ronde du samedi 10 octobre aux rendez-vous de Blois.


L’invasion de la Pologne en septembre 1939 confronte les nazis à une question : que faire des Juifs qui vivent dans le nouveau Gouvernement général ? Les administrations nazies s’attachent alors à gouverner au destin de 2 millions de personnes.

Iannis Roder débute la table ronde en évoquant le personnage de Jonas Turkow, homme de théâtre polonais de culture yiddish, résistant du ghetto de Varsovie. Il raconte son quotidien dans le Gouvernement général et décrit la communauté juive et les traumatismes subis dans le ghetto de Varsovie, un monde à jamais englouti.

Iannis roder évoque un sentiment de désolation et l’immensité du désastre : 3,3 millions de juifs polonais assassinés et seulement 20 à 30000 survivants dans le Gouvernement général. Il rappelle que ce dernier n’a pas été annexé dans le IIIe Reich et qu’il comptait deux millions de juifs au début de la guerre. Il s’interroge sur la manière de gouverner les juifs dans ce gouvernement. Comment les nazis les ont gouvernés ? Comment les juifs se sont-ils gouvernés dans les ghettos ?

Le premier temps de la table ronde évoque l’organisation politique de la Pologne après 1939. En six semaines (1er septembre 1939 à 0ctobre 1939), les nazis doivent organiser la Pologne. Que faut-il faire du territoire polonais ? Le choix ethnographique est privilégié. Ainsi, une partie de la Pologne est intégrée directement au Reich. Le reste du territoire devient le Gouvernement général vu comme une colonie extra-européenne. Une administration pro-consulaire est mise en place avec la volonté d’autonomiser ce territoire par l’intermédiaire de la SA. Hans Frank est nommé gouverneur général de Pologne en octobre 1939.

Audrey Kicheleweski précise que la population juive représente 10% de la population polonaise, soit près de 3 millions de personnes. Ces dernières sont surtout localisées dans les villes mais essentiellement dans les shtetls (communautés villageoises juives). Elles exercent pour la plupart des activités dans le commerce et l’artisanat.

Johann Chapoutot décrit l’imaginaire nazi et la conception allemande des territoires de l’est. Pour les nazis, ces populations de l’est représentent un gradian de dégradation civilisationnelle et les territoires sont considérés comme des colonies.

Le premier imaginaire est donc colonial. La paix de Brest-Litovsk, en mars 1918, représente une victoire allemande puisque les territoires polonais sont annexés. Cette annexion permet de réduire les désirs pangermanistes des plus fervents nationalistes mais elle ne subsistera pas avec le traité de Versailles. Cette défaite fera naître le sentiment que la victoire leur a été volée. Un fort irrédentisme subsiste alors en Silésie avec la volonté de reconquête des territoires perdus en référence au protectorat colonial français.

Le deuxième imaginaire est sanitaire. En effet, la République de Weimar met en place un sas de décontamination vers la Pologne. La population allemande est alors préparée à percevoir la Pologne comme un territoire contaminé et dangereux. On produit la psychose ce qui prédispose à la violence.
Comment cette vision du monde préside à la mise en place de la politique anti-juive ?

Christian Ingrao répond en précisant que ce territoire est perçu à la fois comme un réservoir de main d’œuvre mais également comme un laboratoire. Le Gouvernement général devient un laboratoire du paroxysme de la politique nazie. Les territoires directement incorporés au Reich vont être directement nettoyés et les juifs seront expulsés vers le Gouvernement général. Dès 1939, trois mesures sont prises envers la population juive :


-  Le 23 septembre 1939 : rendre visibles les juifs
-  Le 26 septembre 1939 : obligation de travail pour les juifs
-  Le 1er Octobre 1939 : obligation de résidence, début du processus de ghetto.

Deuxième temps : Comment les juifs vivent ils cette situation ?

Audrey Kicheleweski rappelle qu’il y avait 400 ghettos dans le Gouvernement général. Ils sont tous différents par leur chronologie et leur géographie. Certains correspondent à l’ensemble d’une ville, d’autres, à quelques rues ou à un ou plusieurs quartiers. Les juifs sont assignés à résidence et marqués d’une étoile. Ils sont de fait, isolés du reste de la population.

Johann Chapoutot précise que ces ghettos sont vus par les nazis comme des zones de contamination. Certains sont mêmes indiqués avec des panneaux « Attention danger de contamination » ou « Attention typhus ». L’idée de population contaminante est ainsi véhiculée. Par contre, les nazis sont porteurs sains.
La situation sanitaire dans les ghettos est désastreuse : densité démographie, problème de ravitaillement, maladies ce qui produit ce que les nazis avaient envisagé. L’Allemagne nazie délègue donc le gouvernement des juifs à eux-mêmes. Le parallèle est fait avec ce qui va se passer en France : une zone incorporée, une zone intégrée et de l’autre côté du Rhône un protectorat avec un gouvernement local qui servira de dépotoir racial et de grenier à blé.

Audrey Kicheleweski constate l’installation d’une situation sanitaire dramatique qui va conduire à la formation de conseils juifs pour administrer les ghettos. Dans l’imaginaire juif, l’Allemagne ne représente pas un danger. Les nazis obligent la formation de ces conseils juifs tenus par des leaders communautaires, des personnes en qui la population a toute confiance. Ils vont devoir faire appliquer les lois du Gouvernement général. Les nazis mettent également en place des délégués au maintien de l’ordre dans les ghettos. C’est une sorte de police juive chargée du respect des mesures à appliquer. Au moment des liquidations, ces délégués vont devoir faire acte de violence pour répondre aux ordres. Cette institution est contestée notamment par le mouvement de la jeunesse juive. Cette police fonctionne également avec les Polonais qui participeront au maintien de l’ordre et à la liquidation des ghettos.

Iannis Roder évoque alors l’histoire d’Adam Czerniakow. Ce dernier dirige le conseil juif du ghetto de Varsovie. Il tente de limiter les déportations mais lorsqu’il comprend le sort réservé à son peuple, il décide de mettre fin à ses jours pour ne pas participer à la mise à mort de son peuple.

Troisième temps : Comment les nazis gèrent-ils la politique génocidaire ?

Christian Ingrao répond sur la mise en œuvre du processus génocidaire. Il établit ainsi une chronologie.


-  Septembre 1939-Début 1941 : mise en place de la politique d’occupation et d’administration, période d’une grande brutalité avec une grave crise de subsistance.

Au cours de l’été 1940, le projet de déportation des juifs à Madagascar est évoqué mais il faut évacuer 3,4 millions de juifs. Le projet ne fonctionne qu’en partie parce que l’armée britannique contrôle les mers.
On constate des acteurs multiples dans ce Gouvernement général donnant une impression de patchwork :

-  En 1941, les nazis prennent la décision de gérer les juifs sur place. La situation change lors de l’invasion de l’URSS en juin 1941. Le Gouvernement général se situe au cœur de l’Europe et va être le moyen d’accélérer l’extermination directe des juifs.
-  De novembre à avril 1942 : mise au point des installations, appel aux acteurs de l’action T4 et collaboration des institutions sur place.
-  Février 1942- été 1943 : 43% des victimes sont décédées. Le Gouvernement général est le point culminant de la machine exterminatoire nazie avec un cumul des moyens d’extermination.

Les différentes administrations rentrent en concurrence, entre celle qui veut garder la main d’œuvre et d’autres qui veulent exterminer systématiquement. Les dernières l’emporteront.


-  Novembre 1943, les derniers travailleurs forcés sont liquidés. Fin 1943, il n’y a plus de juifs dans le Gouvernement général. Plusieurs milliers de juifs ont pu s’échapper des ghettos pendant la liquidation mais souvent rattrapés par la population polonaise. Plus de 100 000 juifs sont morts entre 1943 et 1945 directement ou indirectement, ce qui implique la responsabilité du peuple polonais.
Nous comptons quelques dizaines de milliers de survivants sur les 3 millions vivant au début du conflit.